Commission d’enquête sur les fréquences TNT
La galaxie CNews sur le grill

Des figures de CNews, à l'Assemblée nationale
Des figures de CNews, à l’Assemblée nationale, le 28 février 2024 (photo DR)

A six mois du renouvèlement par l’Arcom d’une quinzaine de fréquences de la TNT, la chaîne info du groupe Canal +, propriété du milliardaire breton d’extrême droite Vincent Bolloré, est sur la sellette. Sanctionnée à plusieurs reprises suite à des dérapages racistes, voire de l’incitation à la haine raciale, CNews pourrait perdre son canal de diffusion en 2025. Sauf si l’Arcom, présidée par l’ancien conseiller de Jacques Chirac Roch-Olivier Maistre, continue à se montrer conciliante vis-à-vis du trublion réac du PAF.

La commission d’enquête parlementaire sur « l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision » auditionnait jeudi l’état-major et les vedettes de la chaîne CNews, fer de lance du « combat civilisationnel » de son actionnaire, le milliardaire breton d’extrême droite Vincent Bolloré.

Plus de cinq heures d’auditions pour évoquer le pluralisme, les sanctions infligées par l’Arcom aux chaînes du groupe Canal+ et le comportement de leur propriétaire. En toile de fond, le renouvellement des fréquences TNT par l’Arcom, en 2025. Dans un arrêt récent qui fera date, le Conseil d’Etat a renforcé la mission de l’Arcom. Dans son contrôle du respect du pluralisme par les chaînes, l’autorité doit désormais intégrer les interventions des chroniqueurs, des animateurs et des invités. Et non plus seulement celles des politiques. Un problème pour CNews, dont la ligne éditoriale penche nettement à l’extrême droite, surtout si on prend en compte les journalistes et chroniqueurs de la chaîne.

Maxime Saada, Président du directoire du groupe Canal + joue le bon élève : « L’Arcom estime que nous respectons le temps de parole. Si les règles changent, nous nous y conformerons ». Côté audiences, le PDG du groupe Canal + se félicite de la bonne tenue de CNews, deuxième chaîne d’information en France. Succès qui lui permet de « remplir sa fonction d’intérêt général », selon lui. 

Mais cet ancien consultant de Mac Kinsey nommé à la tête de Canal+ en 2015 par Vincent Bolloré s’inquiète néanmoins des conséquences de la récente décision du Conseil d’Etat : « Je serais curieux de voir la France qui serait la seule démocratie au monde à ficher les journalistes, les éditorialistes ». La tâche confiée à l’Arcom par le Conseil d’Etat s’annonce effectivement complexe. L’autorité de régulation n’a d’ailleurs pas encore précisé comment elle comptait exercer ce nouveau type de contrôle.

CNews, « fervent défenseur du pluralisme » ? 

À une question du député RN Laurent Jacobelli : « Au contraire [de TMC] vous étendez vos invitations à tous les mouvements politiques représentés à l’Assemblée nationale ? », le directeur général et de la publication de CNews depuis 2016, Serge Nedjar, répond : « L’ADN de CNews, c’est l’information et le décryptage, mais c’est surtout la pluralité. Nous invitons tous les partis politiques. »

Contrairement au rapporteur de la commission, le député LFI Aurélien Saintoul, et à ses collègues venus interroger les représentants du canal 16 sur le respect de leurs obligations, Laurent Jacobelli s’interroge sur le futur de CNews : « Quelles seraient les conséquences économiques si jamais les autorisations de diffusion étaient retirées à vos chaînes ? ». Réponse de Maxime Saada : « Ce n’est pas un scénario qu’on envisage mais il serait sans doute dramatique ». Gérald-Brice Viret, directeur des antennes et des programmes du même groupe complète : « On est très confiants puisque nos chaînes respectent leurs conventions et sont conformes à leur dossier de candidatures. »

Des sanctions « sans commune mesure » 

À l’instigation des députés LFI, le sujet des nombreuses sanctions infligées à CNews par l’Arcom arrive rapidement sur la table. L’une des représentantes de Télé Bolloré tente de relativiser : « Les sanctions financières sont in fine relativement peu élevées en leur nombre. Il n’y pas a eu de sanction en 2023 de la part de l’Arcom, une en 2022, une en 2021. » Des propos nuancés par Aurélien Saintoul : « Même si en chiffre absolu vous pouvez considérer que c’est peu de choses, comparé aux autres chaînes c’est sans commune mesure. »

Comme indiqué dans le rapport de l’Arcom daté de 2021 sur « La représentation de la société française à la télévision et à la radio », CNews est en effet la seule chaîne de la TNT sanctionnée financièrement. La condamnation faisait suite à des propos d’Eric Zemmour. Dans l’émission Face à l’Info du 29 septembre 2020, il avait déclaré : « [Les mineurs isolés étrangers] n’ont rien à faire ici. Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont. Il faut les renvoyer ». Une « provocation à la haine et à la violence » selon le Tribunal de Paris.

Cette sanction survenait après une mise en demeure du CSA (devenue Arcom), le 27 novembre 2019. La décision portait déjà sur des propos discriminatoires d’Éric Zemmour, dans la même émission en octobre 2019 (Rappelons que le procédé est le suivant : l’Arcom doit « avertir », puis « mettre en demeure » un éditeur avant de le sanctionner financièrement). 

La culture du clash

Depuis 2017 et le rachat d’ITélé par Vincent Bolloré, la ligne éditoriale a changé. CNews penche nettement plus à droite qu’I-Télé, mais surtout, elle a réduit les reportages, pour privilégier des plateaux peuplés de chroniqueurs maison souvent réacs, dont les clashs et coup de gueule font régulièrement le buzz sur les réseaux sociaux. Un choix qui permettra bientôt d’atteindre la rentabilité selon Gérald-Brice Viret, directeur général du Groupe Canal+ : « Il y a plus effectivement d’analyse et de décryptage que de reportage (…) on a développé ce modèle. Ce qui va nous permettre d’arriver à la rentabilité puisqu’il y a de très fortes audiences. » 

Une sorte de chaîne d’opinion aussi défendue par l’animateur vedette Pascal Praud : « Aujourd’hui si vous vous contentez d’être purement factuel, les gens vous leur apprendrez rien. Il faut leur apporter une mise en perspective, une analyse, de la polémique ou de la controverse, pourquoi pas, ce qui permet d’avoir un échange pluraliste. »

Si la rentabilité est visée par la direction, elle ne semble pas être la priorité du milliardaire Vincent Bolloré. Une enquête parue dans Le Monde, le 20 décembre 2023, mettait en lumière le projet politique du magnat de la presse, qui pèse sur le paysage médiatique français, notamment pour « tirer les ficelles de la prochaine présidentielle. »

« Indépendance éditoriale « , vraiment ?

Dans sa décision du 13 février, le Conseil d’État rappelle que la convention signée entre CNews et l’Arcom stipule que « l’éditeur s’engage à préserver son indépendance éditoriale, notamment à l’égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses éditeurs ».

Interrogé avec insistance par des députés LFI sur l’influence de Vincent Bolloré, qui contrôle étroitement Vivendi et donc le groupe Canal+, le directeur général de CNews et directeur de la rédaction Serge Nedjar, affirme qu’il n’y a « aucune intervention de sa part ». Les deux hommes sont cependant régulièrement en contact par téléphone « pratiquement quotidiennement ou tous les deux jours ». Pour « parler des audiences », selon Nedjar, qui précise « il se trouve qu’en ce moment on bat BFMTV tous les jours, donc j’ai la chance de l’avoir plus souvent. »

Le cas Hanouna 

Les nombreuses sanctions dont a écopé C8 ces dernières années suite à des séquences sexistes ou homophobes chez Cyril Hanouna ont également été mentionnées lors de ces auditions. Maxime Saada défend sa star : « Ce qui fait le succès de Cyril Hanouna c’est sa nature, sa spontanéité, son naturel, son franc-parler et ca peut donner lieu quand on est en direct à des débordements et c’est un risque que nous prenons (…) et c’est très rare quand on voit le nombre d’heures que l’on produit. » Cyril Hanouna et Vincent Bolloré seront à leur tour interrogés par la Commission d’enquête mi-mars. 

Cas de Jean-Baptiste Rivoire 

Le cas de Jean-Baptiste Rivoire (fondateur et rédacteur en chef d’Off Investigation), a été mentionné au cours de la commission. Rappellant qu’il venait d’être condamné par le tribunal des prud’hommes de Boulogne Billancourt à payer 151 500 euros au groupe Canal+ pour avoir, selon le tribunal, violé une clause de silence signée à son départ de la chaîne en 2021 (Jean-Baptiste Rivoire conteste et a annoncé son intention de faire appel), la députée LFI Sarah Legrain a demandé à Maxime Saada combien de personnes avaient signé ce type d’accords de silence. « Je ne le sais pas », a répondu le président du directoire du groupe Canal+.

Interrogé ensuite par le rapporteur de la commission sur le point de savoir si l’ancien patron de Canal+ Rodolphe Belmer avait, lui aussi, signé ce type de « clause de silence » après sa brutale éviction par Vincent Bolloré en juillet 2015, le président du directoire de Canal+ a également indiqué « l’ignorer ». On est pas obligé de le croire…