« Tout nucléaire » : ce fantasme qui pourrait ruiner la France

Construction d'un radier, sorte de cendrier en béton destiné à recueillir le coeur d'un réacteur en cas de fusion (photo DR)

Alors qu'Emmanuel Macron relance des projets de nouveaux réacteurs nucléaires, la France peut-elle encore tout miser sur l'énergie atomique ? Durant six mois, la journaliste indépendante Laure Noualhat, spécialiste de l'écologie depuis 25 ans, a été missionnée par le média indépendant Reporterre pour un livre enquête et un documentaire sur le sujet. Modèle industriel admiré, le "tout nucléaire" est désormais menacé par une équation financière impossible à rentabiliser. Révélations sur une faillite annoncée.

Depuis deux ans, le coût de l’électricité explose pour des millions de foyers français. Sonia Regent, cadre dans les ressources humaines, vit dans un pavillon de Neuilly-Sur-Marne mal isolé des années 1980. Elle fait partie des 11 millions de Français en situation de précarité énergétique. Malgré une vigilance constante, ses factures ont bondi de 1390 euros en 2022 à plus de 2100 euros en 2024. « Une situation ingérable », s'inquiète-t-elle. La flambée des prix est multifactorielle : guerre en Ukraine, sécheresses, indisponibilité d’un tiers des réacteurs en 2022… Mais aussi une dépendance à un parc vieillissant. À l'hiver 2022, la France a frôlé le black-out, ce qui a poussé le gouvernement à appeler à la sobriété énergétique à grands renfort de col roulés. 

Un parc nucléaire historique en fin de course

Pourtant, face aux aléas énergétiques, la France a longtemps pu compter sur sa technologie nucléaire, considérée comme une réussite technique et politique durant de nombreuses années. En 1974, confronté au choc pétrolier, Pierre Messmer - alors Premier ministre - lance un programme massif : 13 centrales de 1000 MW. En deux décennies, la France construit 58 réacteurs. Le coût total est alors estimé à 80 milliards d’euros, largement amortis depuis. Ce parc produit encore aujourd'hui les deux tiers de notre électricité au tarif de 60 €/MWh, soit environ 6 centimes le kWh : imbattable. À l’époque, EDF sait faire : délais et surcoûts sont maîtrisés.

Mais une fois le parc historique construit, dans les années 1990, ce savoir-faire s’est érodé. Les réacteurs français, prévus pour durer 30 ans, ont déja 40, voire 50 ans. Prolonger encore leur durée de vie implique des travaux titanesques : le « grand carénage », qui consiste notamment à renforcer les cuves. La facture explose. Dans ce contexte, EDF, endettée, n’a plus les moyens de s'autofinancer. D'autant que les nouveaux réacteurs, dits "EPR" (réacteurs préssurisés européens), sont estimés à plus de 10 milliards d’euros pièce, soit près de soixante dix fois plus cher que le milliard de francs par réacteur du programme Messmer. Le paradoxe est cruel. 

Modernisation des centrales nucléaires : un budget qui explose 

Initialement estimé à 50 milliards d’euros, ce programme de « grand carénage » visant à prolonger la durée de vie des centrales nucléaires françaises devrait finalement atteindre les 100 milliards, selon les projections actuelles confirmées par la Cour des comptes.

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