Stade de France
Le scandale devient mondial

Milan Mur |  Jean-Baptiste Rivoire

En Grande Bretagne, la presse a fustigé les gazages de supporters de Liverpool par des policiers français le 28 mai dernier (photo DR)

➡️ Depuis les violences policières commises contre des supporters anglais lors de la finale de la Ligue des Champions au stade de France, avec des gazages d’enfants mineurs à la clé, plusieurs médias étrangers s’inquiètent des dérives du maintien de l’ordre à la française et s’interrogent sur la capacité de Paris à sécuriser correctement les JO de 2024.

Rappel des faits: le 28 mai dernier, la finale de la Ligue des Champions est prévue au Stade de France. Initialement programmé à Saint-Pétersbourg en Russie, le match a été délocalisé en France début 2022 sur suggestion d’Emmanuel Macron suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Trois mois pour réorganiser un événement de cette ampleur, le délai est serré. Le jour « J », l’acheminement de 80 000 spectateurs dans le stade s’est révélé être un échec total. Si une première vague de supporters espagnols – dont la « fan zone » était située à dix minutes à pieds du stade – a pu pénétrer sans souci dans les gradins, il n’en a pas été de même des supporters britanniques. Initialement « parqués » place de la Nation, perturbés par la grève du RER B, mal orientés, ils se sont retrouvés en masse aux abords du stade, provoquant l’inquiétude de la police et des échauffourées. Résultat : 105 interpellations et 238 blessés légers selon l’AFP. Un naufrage organisationnel qui a contraint les autorités à retarder de 36 longues minutes le coup d’envoi du match, au grand dam des 340 millions de téléspectateurs qui attendaient l’évènement. Que s’est il passé ? 

L’échec de l’itinéraire

Les dysfonctionnements les plus marquants sont survenus lors de l’acheminement des supporters de Liverpool vers le Stade de France, comme l’a montré une remarquable enquête vidéo de nos confrères du Monde. Le RER B étant en grève, les supporters britanniques qui attendaient dans leur « Fan zone » de la place de la Nation ont été invités, pour la grande majorité, à prendre le RER D. Contactée, la SNCF nous a précisé que 37 000 personnes l’avaient emprunté pour rallier le Stade de France. Cet afflux avait été anticipé: un itinéraire piéton était prévu entre la sortie du RER D et le stade. Sauf que selon Le Monde, un panneau d’orientation inapproprié a incité des milliers de supporters à se diriger vers un point de pré-filtrage n’ayant pas la capacité de les accueillir. Les Liverpuldiens s’agglutinant à cet endroit, les autorités ont été contraintes de lever ce pré-filtrage, permettant à des milliers de supporters anglais d’accéder aux abords du stade sans que leurs billets n’aient pu être vérifiés. Cette défaillance dans le protocole a désorganisé l’accueil des supporters aux portes Y et Z réservées aux fans de Liverpool. Entrées saturées, foule trop dense, l’accès aux tribunes a du être bloqué. Débordées et pressées par le temps, policiers et gendarmes ont alors utilisé du gaz lacrymogène pour disperser une foule compressée mais pacifique pour la grande majorité.

30 000 « faux billets »?

Pour justifier cet usage de la force, les services du préfet de police de Paris, Didier Lallement, ont affirmé que 30 000 à 40 000 personnes munies de « faux billets » avaient provoqué un important désordre. Alors qu’aucune enquête n’a pu en établir la réalité, ces chiffres ont été complaisamment relayés dès le lundi 30 mai par le ministère de l’Intérieur et la Ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra. Gérald Darmanin les a ensuite remartelés le 2 juin lors de son audition devant le Sénat, rejetant dans un premier temps toute critique du dispositif policier aux abords du Stade de France.

Or selon Le Monde, qui a compilé des centaines de vidéos des incidents, une fois l’enceinte remplie, il n’y avait plus trace aux abords du stade de ces « 30 000 à 40 000 personnes » prétendument « munies de faux billets ». Encore mieux: selon une note interne de la Préfecture de police, les autorités françaises s’attendaient à ce que 40 000 à 50 000 personnes sans billets tentent d’accéder aux abords du stade de France l’après midi du match. Mais selon l’AFP et la Fédération Française de Football, seuls 2 800 « faux billets » ont été scannés le soir du match aux portiques d’entrée du stade de France. Un chiffre vraisemblablement en deçà de la réalité grâce aux zones de pré-filtrage restées opérationnelles. Mais on est loin des « 30 000 à 40 000 personnes munies de faux billets » martelé par Gérald Darmanin.

Confronté par Arrêt sur images à une scène montrant le ministre de l’intérieur en train de brandir, devant le sénat, deux billets, dont l’un était prétendument faux et l’autre prétendument vrai, le journaliste sportif anglais Daniel Austin n’a pas caché sa surprise. Le billet prétendument faux ressemblait comme deux gouttes d’eau au billet qui lui avait permis, à lui, d’assister au match ! Autre fait troublant : le joueur de Liverpool Andy Robertson a révélé dès la fin du match qu’un proche ayant un billet fourni par le club anglais s’était vu refuser l’entrée pour « faux billet ». Il a également fustigé les autorités prises de panique aux abords du stade. En bref : bien qu’il semble impossible de distinguer un faux billet d’un vrai, Paris a martelé durant plus de dix jours cette thèse des « faux billets » comme explication officielle du fiasco.

Auditionné par le Sénat le 9 juin, le préfet de police de Paris Didier Lallement a fini par reculer : « on a jamais compté 30 000 à 40 000 personnes devant les portes du stade, on les subodorait à la périphérie de nos barrages ». Une nuance de taille. Reconnaissant que ce chiffre largement repris par le ministre lui même n’avait « pas de vertu scientifique », Didier Lallement a reconnu pour la première fois qu’il s’était « peut être trompé ». « Jamais je n’ai prétendu que ce chiffre était à quelques milliers parfaitement juste, mais il me paraît totalement refléter ce qu’était la situation », a-t-il fini par lâcher.

Colère Britannique

Dès le 30 mai, l’attitude de la Ministre des Sports Amélie Oudea-Costera, avait choqué. Le PDG de Liverpool, Billy Hogan avait, sur le site du club, regretté qu’elle ait accusé les supporters de sa ville d’être responsable des événements : « Nous pensons simplement que tout le monde devrait se concentrer sur la nécessité de réaliser une enquête sérieuse plutôt que de multiplier les commentaires incendiaires qui tentent de détourner la responsabilité de ce qui s’est passé samedi soir. » Le même jour, le club de Liverpool avait réclamé l’ouverture d’une enquête.

Depuis, L’UEFA a annoncé ouvrir une enquête indépendante. Quand au Ministère des Sports, il a indiqué avoir « commandé un rapport sur les événements ». De son côté, le parquet de Bobigny a ouvert une enquête pour « escroquerie en bande organisée » pour l’éventuelle fraude massive aux faux billets. Mais concernant les violences aux abords du stade, faute d’avoir réclamé la saisie des bandes de vidéosurveillance dans un délai de sept jours, la justice française n’y aura… plus accès ! Auditionné par le Sénat le 9 juin, le directeur des relations institutionnelles de la Fédération Française de Football, Erwan le Prévost, a en effet affirmé que ces vidéos avaient été « détruites ». Entendu le même jour par visioconférence, le maire de Liverpool, Steve Rotheram, a déclaré ne pas parvenir à « comprendre pourquoi les vidéos (avaient) été détruites ».

Le matin même, au Sénat, le préfet de police de Paris Didier Lallement a reconnu pour la première fois que la gestion policière de la rencontre était « à l’évidence un échec ». Il a regretté les personnes « bousculées ou agressées » et « l’image ébranlée de la France », ajoutant même : « C’est une blessure pour moi ». Mais sur l’utilisation de gaz lacrymogènes contre des familles de supporters, y compris des enfants, le préfet de police est resté droit dans ses bottes, estimant que c’était le « seul moyen policier pour faire reculer une foule, sauf à la charger ». Selon lui, la doctrine du maintien de l’ordre à la française n’est « pas en cause ». Et quand une sénatrice lui demande sa réaction, « à titre personnel », sur ce « ratage » au stade de France, il répond: « Je suis haut fonctionnaire, révocable tous les mercredis (en conseil des ministres)… c’est quoi, votre problème ? »

France Inter, la « voix de la France » ?

En quelques heures, le match réunissant les anglais de Liverpool et les espagnols du Real Madrid a donc mis notre pays sous le feu des projecteurs du monde entier. En France, comme souvent, certains médias « mainstream » ont mis du temps à se détacher du discours officiel du Ministère de l’Intérieur. Le cas de France Inter est particulièrement emblématique, comme l’a montré Arrêt sur Images. Le 29 mai, lendemain des incidents, la radio publique  a relayé tout au long de la journée l’argumentaire officiel de la place Beauvau, sans réelle prise de distance. Ce jour là, pour France Inter, la responsabilité du chaos est à imputer aux supporters britanniques. La police française, en revanche, se voit délivrer des « satisfecits » avec des formules du genre: « d’un point de vue du maintien de l’ordre, le bilan est plutôt positif. » Pourtant, dès la veille, des journalistes présents sur le terrain rapportaient un récit totalement différent (comme dans ce direct de Sky Sports News). Tout au long du 29 mai, le constat que le dispositif aux abords du stade était largement critiquable était ainsi largement partagé, sauf sur la « première radio de France ». Sur l’utilisation du gaz lacrymogène, France Inter s’est également escrimé à relayer les éléments de langage de la place Beauvau, avec des affirmations du type: « les policiers mobilisés ont répondu au gaz lacrymogène pour dissuader les supporters d’escalader des grillages ou provoquer des mouvements de foule ». De nombreuses images ont pourtant démontré que policiers et gendarmes avaient déversé des gaz lacrymogènes sur des personnes pacifiques, des enfants, des familles…

Un scandale mondial

A l’étranger, beaucoup de médias ont fustigé la mauvaise gestion par la France de cette fête du football européen. Pour la plupart des observateurs, les forces de l’ordre françaises ont montré aux yeux de l’Europe leur cruel manque de compétence dans l’organisation de grands événements. The Guardian s’est notamment ému du sort réservé au supporters anglais : « L’un d’eux a brandi tristement une contravention avant d’être aspergé de gaz poivré à plusieurs reprises par un gendarme en tenue anti-émeute qui se tenait de l’autre côté de la clôture. », déplore par exemple le quotidien Britannique dans son édition du 29 mai.

Du côté espagnol, indignation identique: « Les forces de sécurité ont utilisé du gaz poivré contre les fans qui avaient une entrée et contre ceux qui n’en avaient pas. Ils n’ont fait aucune différence au milieu de l’incertitude » déplore El Mundo.

La France, « régime de sécurité militarisé? »

Interrogé dans le magazine politique britannique The Spiked, sous le titre « Pourquoi la police française brutalise les gens en toute impunité », un docteur en sciences politiques britannique, Charles Devellennes, a mis en cause le fonctionnement de la police sous le pouvoir Macronien. Mais pour lui, les vrais responsables sont « les dirigeants politiques qui ont permis à la police française de s’en tirer avec une telle violence ces dernières années. » Replaçant les pratiques policières françaises dans une continuité historique, le chercheur anglais met en lumière de nombreuses dérives constatées notamment lors de la répression par l’Etat Hollande des manifestations contre la loi travail en 2016 et celle de la révolte des gilets jaunes fin 2018 : « Les armes utilisées par la police française sont particulièrement inhumaines. » Pour le chercheur britannique, la France s’apparente à un « Régime de sécurité de plus en plus militarisé » et le président français porte une lourde responsabilité dans cette situation: « Macron a augmenté le budget de la police, nié toute allégation de violence ou de brutalité policière (…) et compte sur une forte présence policière pour réprimer la résistance à ses réformes structurelles. »
Du côté espagnol, même analyse : « Le stade est un miroir déformant de notre société : ce que nous voyons dans le stade est ce que l’on voit dans la société » pouvait-on notamment lire au lendemain de la finale dans El Pais. Jeudi 2 juin, cinq jours après la finale, la pression étrangère était telle que le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, a fini par présenter ses excuses lors de son audition au Sénat, notamment sur « l’utilisation disproportionnée des gaz lacrymogènes. » Une séquence inédite sous l’ère Macron.

Inquiétude pour les jeux olympiques de 2024

A l’approche de la coupe du monde de Rugby en 2023 et des Jeux Olympiques d’été qui se tiendront à Paris en 2024, cette gestion chaotique des foules inquiète la presse internationale. Lors des JO, la police française va-t-elle gazer les spectateurs venus du monde entier comme de vulgaires insectes, comme elle l’a fait pour les anglais au Stade de France? En Italie, le quotidien Corriere della Serra doute désormais de notre capacité à assurer la sécurité des événements internationaux « La répression de plus en plus violente et inefficace de la part des policiers et des gendarmes, sème le doute sur la capacité réelle de la France à organiser de grands événements de masse, un an avant la Coupe du monde de rugby et deux ans avant les Jeux olympiques de Paris. » Non moins critique, Le Temps, le plus important quotidien francophone helvétique, estime que « Le dispositif sécuritaire (du Stade de France, nda) devait en tout cas servir de test pour la Coupe du monde de rugby, organisée par la France en 2023 et pour les JO de Paris, l’année suivante. » Ces derniers jours, ces doutes ont traversé l’Atlantique. Suite au fiasco organisationnel du Stade de France, le célèbre quotidien américain New York Times écrit : « Les gaz lacrymogènes et les retards ont entaché la finale de la Ligue des Champions à Paris samedi, soulevant des questions sur la capacité de la France à accueillir des événements comme les Jeux olympiques d’été de 2024. » A l’évidence, le déni Macroniste des violences policières, qui aboutit de fait depuis 2018 à laisser impunies de graves atteintes aux droits humains et au droit de manifestation en France, provoque désormais des conséquences à l’international, la planète doutant manifestement de notre capacité à sécuriser correctement les JO de 2024.

Première alerte? Pas vraiment. En mars 2019, après que des centaines de gilets jaunes aient été blessés par la police durant près de six mois de manifestations (dont six éborgnés et près de trente mains arrachées), Michèle Bachelet, ancienne présidente du Chili et haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU avait enjoint la France à lancer des enquêtes impartiales sur les violences policières. Elle n’avait pas été entendue, provoquant même de sidérants sarcasmes sur nombre de plateaux de télévisions hexagonaux. Le 28 juillet 2020, quelques mois après qu’un coursier parisien, Cédric Chouviat, soit décédé après avoir été plaqué au sol de longues minutes par des policiers parisiens alors qu’il leur avait indiqué à sept reprises: « Jétouffe », le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin avait osé déclarer devant une commission d’enquête de l’Assemblée: « quand j’entends le mot violences policières, personnellement, je m’étouffe ». « Quand votre fils crie sept fois « j’étouffe » pour essayer de survivre et que le ministre se permet de dire que les violences policières l’étouffent (…) je pense qu’il ne connaît pas la signification du mot ‘étouffer« , avait à l’époque déclaré Christian Chouviat, le père de la victime. Dénonçant des propos « inacceptables », il avait ajouté: « J’en veux personnellement à Gérald Darmanin qui, aujourd’hui, n’a pas le respect des citoyens français, surtout ceux qui sont restés sur le tapis pour un contrôle d’identité ». A force de nier les dérives du maintien de l’ordre à la française, les Macronistes risquent ils de gâcher la fête mondiale des JO de 2024?