Matzneff et le « mystère Boulin »

O. Annichini

Fin 1979, le destin de Gabriel Matzneff croise celui de Robert Boulin, ministre du travail de Valéry Giscard D'Estaing et père de son ami Bertrand (photo DR)

Fin 1979, alors que Gabriel Matzneff obtient que les plus hautes autorités de l'État l'aident à localiser son ex-épouse, son destin croise celui de Robert Boulin. Ministre du travail de Valéry Giscard d'Estaing, c'est le père de Bertrand Boulin, avec qui Matzneff milite pour abaisser l'âge de la majorité sexuelle. Après que son père ait été retrouvé mort en forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979, Bertrand Boulin croit d'abord à un suicide avant de privilégier, à partir de 1983, l'hypothèse d'un assassinat.

Le 30 octobre 1979, jour où le père de Bertrand, le ministre Robert Boulin, est retrouvé mort en forêt de Rambouillet au petit matin, Gabriel Matzneff a rendez-vous 11 rue des Saussaies, dans le 8e à Paris, au siège de la direction générale de la Police nationale ! Il n'est pas convoqué pour rendre compte de ses activités licencieuses, non, il est invité à exposer un problème tout personnel, pour lequel un ministre lui a promis le concours de la police. L'histoire vaut son pesant de cacahuètes.

Matzneff vient alors de publier « Vénus et Junon », tome de son journal qui couvre les années 1965-1969, années durant lesquelles la jeune et belle Tatiana lui a mis le grappin dessus, jusqu'à l’épouser en janvier 1970. Une histoire à l'eau de rose qui finira en eau de boudin avec leur divorce en mars 1973. Au moment de cette séparation, Gabriel, dans un portait au vitriol, n'était pas tendre avec son ex-épouse : « Son côté petite nana MLF, son vocabulaire soixante-huitard grotesque et déjà vieilli, ses fringues, son allure générale, tout cela me dégoûte au-delà de ce que j'en puis dire. Elle n'a plus rien de commun avec la jeune fille que j'ai aimée. » (page 316 de « Elie et Phaeton »). 

A la recherche de Tatiana

Mais à l'automne 1979, l'écrivain est envahi par la nostalgie des jours heureux. « Vénus et Junon » est d'ailleurs dédié à son ancienne épouse : « Pour Tatiana, en souvenir de nos couronnes nuptiales. » Reste que Tatiana a complètement disparu de la circulation, rompu tous les ponts avec son passé nuptial ; elle est sortie de la vie de l'écrivain sans laisser d'adresse. Comme souvent quand une femme le quitte, Matzneff se met alors en tête de la retrouver, surtout curieux de savoir qui l'avait remplacé dans son lit, car il a toujours du mal à admettre qu'après avoir succombé à « Gab le magnifique » une fille puisse trouver le bonheur dans d'autres bras. Pour localiser son ex-épouse, il décide de faire appel à ses amis haut placés, comme il l'expose dans « Les Soleils révolus, journal 1979-1982 ».

Le mardi 16 octobre 1979, à 15h30, Matzneff se rend au Conseil constitutionnel pour y rencontrer, non pas un sous-fifre mais le président du Conseil en personne, Roger Frey, ancien ministre de l'Intérieur du général de Gaulle, qu'il avait précédemment sollicité lors d'un repas mondain. Après les amabilités d'usage, Gabriel expose l'objet de sa visite. 

Le Conseil constitutionnel et la place Beauvau au secours de « Gab la rafale »

Voici  la scène telle que racontée par lui : « Nous tournons autour du pot. Je finis par me lancer. Je lui déroule ce à quoi j'avais fait rapidement allusion chez les F. : mon désir de retrouver la trace de mon ex-femme qui a disparu depuis plus de six ans. Il ne bonche pas. » Non, en homme d'expérience Roger Frey réfléchit. La solution, c'est d'organiser une planque devant le domicile de la mère de Tatiana, dont Matzneff possède l'adresse, et d'attendre que sa fille lui rende visite pour ensuite la prendre en filature et la loger. Pour cela, il faut des flics... 

Qu'à cela ne tienne, Roger Frey prend son téléphone et appelle le plus grand flic de France, Christian Bonnet, le ministre de l'Intérieur : « Cher ami, j'ai dans mon bureau Gabriel Matzneff, que vous connaissez certainement... » Gabriel n'en revient pas, nous non plus : « Le président du Conseil constitutionnel déroule mon affaire au ministre de l'Intérieur. Comme tout devient simple quand on est à la tête de l'Etat. » Un peu beaucoup mythomane le Matzneff de s'imaginer qu'un ministre veuille l'aider à retrouver Tatiana ? Ou un peu beaucoup naïf le Matzneff de ne pas penser que le premier flic de France est à l'affût de toute information concernant un écrivain sulfureux et pédophile ? C'est un élément à considérer, quand on constitue un puzzle, toutes les pièces, même les plus petites, ont une place à trouver. 

Quoi qu'il en soit, dans les jours qui suivent, il obtient un rendez-vous le 30 octobre 1979 avec Maurice Bouvier. Pas n'importe qui. A sa mort, le 23 juillet 2009, le ministère de l'Intérieur publiera un communiqué rappelant le grand serviteur qu'il fut : « Commissaire de police puis directeur de la préfecture de police en 1970, Maurice Bouvier avait ensuite été nommé directeur de la police judiciaire à la direction générale de la police nationale en 1974. Tout au long de sa carrière, il se sera illustré par de nombreuses enquêtes comme celle portant sur l'attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle en 1962 ou celle permettant de mettre fin à la cavale du gangster Jacques Mesrines en 1979. » Ainsi dans le même temps où Maurice Bouvier participe à la traque de l'ennemi public n°1, Jacques Mesrines (abattu le 2 novembre 1979 par les forces de l'ordre), Bouvier est prié par son ministre d'aider Matzneff à dénicher l'adresse d’une ex épouse dont il est séparé depuis six ans ! 

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