Sophie Benard
Depuis que la Cour suprême des États-Unis a cessé de garantir le droit à l’avortement en juin 2022, une quinzaine d’États Américains mettent en oeuvre des lois restreignant les droits des femmes à disposer de leur corp. Le harcèlement judiciaire et moral des Américaines qui s’annonce évoque celui subi par les Irlandaises jusqu'en 2018. Reportage à Belfast, où la criminalisation de l’avortement a traumatisé des générations d’Irlandaises.
En Irlande, quatre ans après une timide légalisation de l'avortement, trouver une femme qui accepte d’en parler n’est pas chose facile ; le sujet est jugé à la fois « trop intime » et « trop polémique ». Seul moyen de "délier les langues" : les réseaux féministes. Même dans ce cadre, les femmes restent prudentes et s’assurent dans un premier temps de l’opinion et des intentions de la personne qui les interroge.
Olivia, comédienne et réalisatrice Irlando-Américaine de 40 ans, a eu recours à l’avortement à deux reprises. La première fois, elle était encore étudiante à Dublin ; elle a immédiatement fait le voyage jusqu’à la Californie : « je savais que je n’avais pas le droit d’avorter en Irlande, mais je me suis confrontée à la violence de ce que ça signifiait : je me suis retrouvée seule dans une ville que je ne connaissais pas encore, loin de ma famille et de mon compagnon, qui ne pouvait pas s’offrir un aller-retour. J’ai eu honte pour le gouvernement irlandais. »
Erin a vingt-huit ans. Originaire de Dublin, elle est maintenant doctorante en littérature à la Queen’s University de Belfast, en Irlande du Nord. L’avortement y a été dépénalisé le 1er avril 2020, sur intervention du gouvernement britannique. Mais durant toute sa jeunesse, la criminalisation de l’avortement qui prévalait en République d’Irlande - avec des peines pouvant aller jusqu’à 14 ans de prison, voire la peine de mort pour les avorteuses - l’a traumatisée.