Justice en « burn-out »
Des rapports confidentiels lient décès et souffrance au travail

Yanis Mhamdi

Emmanuel Macron et Eric Dupond-Moretti au palais des congrès de Poitiers le 8 octobre 2021 pour le lancement d'"états généraux de la justice" censés solliciter magistrats et citoyens pour faire des propositions de réforme via une "plateforme digitale" (Photo Stephane MAHE / Pool / AFP)

En un peu plus d’un an, le ministère de la justice a dû gérer au moins cinq décès parmi son personnel. Des magistrat.e.s et des greffier.ère.s victimes d’accidents cardio-vasculaire, voire qui se suicident. Pour la première fois, des rapports inédits lient ces décès tragiques à la souffrance au travail des personnels de justice. Révélations.

Le 18 octobre dernier au palais de justice de Nanterre. Marie Truchet, 44 ans, préside l’audience des comparutions immédiate. C’est alors qu’en plein tribunal, elle s’écroule, victime d’un arrêt cardiaque. Des pompiers arrivent rapidement sur place et tentent de la réanimer pendant plus d’une heure. Mais rien n’y fait. Marie Truchet vient de mourrir devant tout le monde, au beau milieu d’une audience. 
Qu’est-ce qui a pu provoquer l’arrêt soudain de son cœur ? Une enquête est en cours. Mais aujourd’hui, nombre de magistrats font le lien entre le décès de leur collègue et des conditions de travail qui poussent beaucoup d’entre eux à la limite de leurs capacités physiques et psychologiques. Un surmenage sur lequel ils alertent en vain depuis de nombreuses années. Car Marie Truchet n’est pas un cas isolé. 
Un an avant le drame de Nanterre, le lundi 11 octobre 2021, Sonia Saingrain, 56 ans, directrice de greffe au tribunal de Montpellier, entame une nouvelle semaine de travail. Il est huit heures du matin quand elle arrive à son bureau. À peine le temps de saluer ses collègues et Sonia s’effondre, victime d’un accident vasculaire cérébral. Les pompiers tentent de la sauver en lui prodiguant un massage cardiaque, puis la transfèrent de toute urgence à l’hôpital Arnaud de Villeneuve à Montpellier. Mais c’est trop tard, Sonia Saingrain sera déclarée morte le lendemain. Elle laisse derrière elle deux enfants.

" DU TRAVAIL LES WEEK-ENDS ET DURANT LES VACANCES "

Face au choc d’un tel décès, ses collègues du tribunal de Montpellier décident de voter le déclenchement d’une enquête du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail. Durant des mois, le CHSCT de l’Hérault rencontre et interroge une vingtaine de collègues de Sonia Saingrain. Dans un rapport confidentiel rendu en octobre 2022 que Off Investigation a pu consulter, les enquêteurs-ices du ministère de la justice décrivent une directrice des greffes dévouée à son travail, qui faisait face à un sous-effectif conséquent dans son service. Sous pression, soucieuse de bien faire, elle travaillait énormément. Les week-ends, mais également durant ses congés. Le rapport fait état d’une seule semaine réelle de vacances, sans travailler, à l’été 2021. Une charge de travail qui empiète sur sa vie privée. Conséquence, Sonia « se plaint dune fatigue chronique » selon ses collègues, et « de maux de tête récurrent ». Stressée, elle devient même « irritable ». C’est dans ce contexte, un peu plus d’un an après sa prise de fonction au tribunal de Montpellier, que son corps a lâché. 
Pour les membres de cette délégation d’enquêteurs-ices composée de la présidente du tribunal judiciaire de Montpellier, de représentants du personnel issus des différentes organisations syndicales, mais aussi d’inspecteur-ice.s de la sécurité et la santé au travail et de psychologue, les conclusions sont sans appel : « Même si les causes de l’accident mortel de Mme Saingrain peuvent être multi-factorielles, il n’en demeure pas moins que les éléments de son activité et du contexte professionnel doivent être retenus. » 

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