En déplacement au Canada le 26 septembre, Emmanuel Macron s’est fait interpeller sur une lourde dette que la France a imposée à Haïti après l’indépendance que ce petit pays des Caraïbes avait arrachée le 1er janvier 1804 au prix d’une lutte héroïque. Quasi simultanément, Edgard Leblanc Fils, actuel dirigeant haïtien, abordait le même sujet en pleine assemblée générale de l’ONU, à New-York. Off-investigation revient sur un dossier qui a marqué les relations entre les deux pays.
L’écrivain et militant politique canadien Yves Engler a publié le 26 septembre sur X une vidéo en expliquant avoir réussi à approcher Emmanuel Macron, alors interrogé à la volée sur la dette colossale imposée par la France à Haïti au début du XIXème siècle. Dans la séquence en question, qui a été filmée à Montréal juste après la rencontre entre le chef d’État français et le Premier ministre du Québec François Legault, on entend en effet le président de la République se faire interpeller en ces termes : « Monsieur Macron, est-ce que tu vas payer la dette d’indépendance à Haïti ? Quand est-ce que la France va repayer Haïti ? »
Visiblement incommodé par la véhémence de son interlocuteur, l’actuel locataire de l’Elysée esquisse quelques grimaces mais est rapidement tiré d’affaire grâce à l’intervention d’un membre de l’équipe de sécurité qui s’interpose devant la caméra.
⚡️MACRON INTERPELLÉ À MONTRÉAL SUR LE PILLAGE D'HAÏTI PAR LA FRANCE
— Off Investigation (@Offinvestigatio) September 27, 2024
👉Quasi-simultanément, l'emprise coloniale de la France sur Haïti a été abordé à la 79e assemblée générale de l’ONU :
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Quasi simultanément, lors de la 79ème session de l’Assemblée générale de l’ONU qui se tenait à New-York, Edgard Leblanc Fils, président du Conseil présidentiel de transition d’Haïti, a remis sur la table la question de cette dette considérable que son pays s’est vu imposer par la France il y a désormais près de deux siècles. « Haïti, première nation noire indépendante du monde, est aussi la grande victime d’une injustice historique qui, non seulement a retardé son développement, mais a aussi marqué son peuple d’un fardeau dont les répercussions se font encore sentir », a déclaré Edgard Leblanc Fils, en référence à la somme faramineuse que la France avait exigée d’Haïti en 1825 pour reconnaître son indépendance.
Edgard Leblanc Fils, président du Conseil présidentiel de transition d’HaïtiN’est-il pas venu le moment de la restitution des montants consentis ?
Dénonçant « une rançon imposée sous la menace », le dirigeant haïtien a souligné que cette dette avait « siphonné les ressources de la jeune nation, la plongeant dans un cycle infernal d’appauvrissement dont elle peine toujours à sortir ». « Cette dette a été une forme de punition [imposée au peuple haïtien] pour avoir osé se libérer des chaînes de l’esclavage », a-t-il poursuivi, avant de questionner son auditoire : « A la veille du bicentenaire de cet événement inédit dans l’histoire du monde, n’est-il pas venu le moment de la restitution des montants consentis ? Nous demandons la reconnaissance d’une dette morale et historique et la mise en œuvre de réparations justes et appropriées qui permettront à notre peuple de se libérer des chaînes invisibles de ce passé injuste. »
À La tribune de l’ONU, Edgard Leblanc demande à la France de restituer à Haïti la « rançon » de l’indépendance qui avait été imposée aux anciens esclaves haïtiens en 1825 par le roi Charles X. pic.twitter.com/7WkhlAdWex
— Windy Phele (@windyphele) September 26, 2024
La dette haïtienne, « l’histoire que les Français n’enseignent pas » ?
A l’issue d’une lutte d’émancipation héroïque au cours de laquelle il a réussi à renverser ses maîtres esclavagistes français, le peuple haïtien déclare son indépendance le 1er janvier 1804. Haïti devient alors la première nation du monde moderne née d’une révolte d’esclaves.
Mais, deux décennies plus tard, en 1825, des navires de guerre français, menés par un émissaire du roi Charles X, entrent dans le port de la capitale haïtienne (Port-au-Prince) afin d’exiger des réparations, sans le paiement desquelles la population d’Haïti devrait se préparer à la guerre. Dépourvu d’alliés puissants, le pays se voit contraint de payer 150 millions de francs français, dont il ne dispose pas. La France ne laisse alors d’autre choix à Haïti que de s’endetter auprès d’un groupe de banques françaises. Un engrenage infernal s’enclenche.
Le New-York Times, 20 mai 2022Les paiements à la France ont coûté à Haïti entre 21 et 115 milliards de dollars en perte de croissance économique au fil du temps
Comme le révèle une enquête publiée en 2022 par le New York Times (NYT), les pertes pour Haïti ne se mesurent pas en additionnant les sommes versées à la France et aux créanciers extérieurs au fil des ans : « Chaque franc expédié à travers l’Atlantique vers un coffre de banque à l’étranger était un franc qui ne circulait pas parmi les agriculteurs, les ouvriers et les commerçants d’Haïti, ou qui n’était pas investi dans des ponts, des écoles ou des usines — le genre de dépenses qui aident les nations à devenir des nations, qui leur permettent de prospérer », expliquait en 2022 en effet le célèbre quotidien américain qui évoquait « l’histoire que les Français n’enseignent pas ». Selon le NYT, « les paiements à la France ont coûté à Haïti entre 21 et 115 milliards de dollars en perte de croissance économique au fil du temps ».
Read the takeaways from our full investigation. https://t.co/F88WAdkZ6c
— The New York Times (@nytimes) May 21, 2022
Cette enquête édifiante, pour laquelle le journal a examiné des milliers de pages de documents d’archives et consulté une quinzaine d’économistes, révèle comment les banques françaises ont longtemps contrôlé la banque nationale d’Haïti depuis Paris et perçu des commissions sur presque toutes les transactions effectuées par le gouvernement haïtien.
L’enquête décrit par ailleurs l’emprise étasunienne croissante sur l’actionnariat de la banque nationale au début du XXème siècle. « La National City Bank [et] d’autres puissances de Wall Street [ont] poussé Washington à prendre le contrôle d’Haïti et de ses finances. Pendant les décennies qui ont suivi, les États-Unis ont été la puissance dominante en Haïti, dissolvant le parlement sous la menace des armes, tuant des milliers de personnes et expédiant une grande partie des revenus d’Haïti aux banquiers de New York tandis que les agriculteurs qui contribuaient à générer les profits vivaient souvent au bord de la famine », relate le NYT.
Marquée par la colonisation, l’esclavage et l’ingérence extérieure, l’histoire d’Haïti est encore lourde de conséquences aujourd’hui, le pays figurant parmi les plus pauvres du monde. A l’image de sa récente intervention lors de la 79ème assemblée générale de l’ONU, le président du Conseil présidentiel de transition d’Haïti n’entend manifestement pas laisser perdurer l’impunité.
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