Des médias trop blancs ?
Le syndicat national des journalistes CGT a enquêté

Carmen Bachimont

Conférence de rédaction au Monde, Mai 2022 (photo C. Caudroy pour Le Monde DR)

Entre février et septembre 2022, le syndicat national des journalistes de la confédération générale du travail (SNJ-CGT) a enquêté sur les discriminations et le racisme dans les rédactions françaises. Basé sur les témoignages de 167 journalistes, son rapport titré “ Briser le silence sur le racisme dans les rédactions " (voir en fin d'article) évoque des discriminations qui peuvent prendre la forme d’insultes, de discrimination positive, ou encore salaires inégaux. Ces discriminations peuvent se fonder sur les origines sociales ou ethniques des journalistes, leur physique ou leur sexe.

44% des journalistes ayant répondu à l’enquête du SNJ-CGT estiment avoir été victimes de discriminations liées à leur sexe, genre, origine, religion ou encore à leur âge. Leurs témoignages ont mis en évidence une stigmatisation forte et des remarques allant jusqu’aux insultes, l’origine ethnique étant souvent attaquée. Si l’on ne prend en compte que la discrimination raciale, présentée comme systémique dans les entreprises de presse françaises, dont les rédactions sont majoritairement “blanches”, 24,2% des journalistes interrogés disent en avoir été victimes. 

« Je ne veux plus d’arabes ici, je vais blanchir tout cela »

Un responsable audiovisuel

Stigmatisation de la population tsigane par des qualificatifs comme «voleurs », de la population réfugiée syrienne, déconsidérée : " ne sert à rien", de la communauté asiatique qui est assimilée à : " Covid chinois "; "soumission " ; " discipline ".  Avec même : " Un patron qui imite le "rire chinois " en direct sur le plateau. Stigmatisation de la population arabe ou maghrébine à travers différentes invectives et insultes, recueillies : " Je ne veux plus d’Arabe ici, je vais blanchir tout ça, faire venir des Blancs pour prendre ta place (...) je te punis de plateau" ; "Arabe de service " ; " Bougnoulette " ; " Bonne à rien " ; "Tu ne sais pas traduire l'arabe ?! " ; " Tu n'as pas les compétences linguistiques " ; " Les arabes profitent " ; " Les arabes sont bons à faire le ménage ", etc. Cela se traduit aussi par des " non réponses à des candidatures internes " ; des " mises à l'écart et dénigrement du travail accompli " ou encore de l'islamophobie, etc

Le rapport relève que des personnes racisées sont plus souvent mises à l’écart ou suspectées systématiquement de comportements “ déviants ” qui leurs sont attribués. Nombre de remarques permettent de relever que les journalistes, victimes de racisme, travaillent souvent dans un climat de suspicion. Parmi les exemples, une jeune journaliste qui avait mis une simple capuche sur la tête parce qu'il faisait froid, s'est vue mise à l'écart :" Il y a eu focalisation sur des aspects de ma personnalité qui se sont avérés être des projections. On sous entendait que je pouvais avoir recours à la violence ( ça n'est jamais arrivé) ". Une autre a été traitée de " djihadiste ". 

Les caractéristiques physiques des journalistes renvoyant à une ethnie peuvent aussi être moquées ou soulignées pour délégitimer la présence de certains sur leur lieu de travail, notamment pour ceux qui passent à l’antenne. La couleur de peau ou la nature des cheveux servent de prétextes faciles au dénigrement. Une femme ou un homme racisé.e peut s’entendre dire “ il faut te défriser les cheveux ” ou “ [tu est] trop noire pour passer à l’antenne”

" Non mais avec le bon éclairage et un peu de fond de teint, tu seras beaucoup moins noire et tu pourras passer à l’écran”

Un responsable de rédaction à une journaliste noire

Ces remarques rappellent des travaux de l’historien et théoricien du cinéma Richard Dyer. Dans les années 1990, il avait étudié les normes de colorimétrie et les représentations esthétiques du monde du cinéma et de l’audiovisuel, basées sur la blanchité des acteurs du début du XXème siècle. Ces normes esthétiques discréditaient alors les individus aux couleurs de peau  plus foncées, vues comme non adaptées à l’écran.  Traduits en 2015 sous le titre La Lumière du Monde: photographie, cinéma et blanchité, les travaux de Richard Dyer n’empêchent pas ces normes esthétiques « blanches » de prévaloir encore aujourd’hui 

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