Bureaucratie numérique
Comment la « start-up nation » harcèle les pauvres

Si la numérisation de l’État permet d’employer moins de fonctionnaires, sa conduite à marche forcée par les macronistes laisse sur le bord de la route des millions d’usagers des services publics. Faibles, souvent pauvres, ils n’osent pas protester contre un harcèlement numérique institutionnel qui leur fait perdre beaucoup de temps… et d’argent.

Hélène, quinquagénaire au chômage ayant auparavant travaillé dans une entreprise de nettoyage, le reconnaît un peu honteusement : « jusqu'à très récemment, j'étais incapable d'ouvrir internet. Mon, gendre m'a ouvert une boîte mail, mais je ne sais pas l'utiliser. Dans les boulots que j'ai fait précédemment, comme femme de ménage, je n'avais pas besoin d'utiliser le web. Mais maintenant, tout se fait en ligne, alors j'ai décidé de me former ».

C'était en 2020, nous avions assisté à une session d'Emmaüs Connect, la branche « accès au numérique » de l'association caritative fondée par l'Abbé Pierre. Ils étaient une dizaine de participants, âgés de 40 à 60 ans. Pour la plupart au chômage, mais ayant travaillé jusqu’à récemment dans des secteurs ne nécessitant pas l’usage d’internet. Anna, 55 ans, a été caissière dans un supermarché, Karim, quadragénaire, a été salarié d'une petite entreprise de plomberie et Zoé a enquillé les petits boulots, comme par exemple la distribution de prospectus. Tous lisent et écrivent couramment. Mais ils ont un handicap majeur : ils ne maîtrisent pas l’outil informatique.« Je n’ai pas d’ordinateur chez moi, explique Karim, pourtant équipé d’un smartphone. Quand je vais chez mon fils, je lui demande de faire mes quelques démarches administratives, il m’a expliqué les bases d’internet, mais j’ai oublié ». Zoé dispose d’un ordinateur à domicile depuis peu, mais faute d’aide, elle ne parvient pas à s’en servir.

Des ordinateurs reconditionnés pour 150€

Trois ans plus tard, les choses n'ont pas vraiment changé. Nous sommes dans le centre d'accueil d'Emmaüs Connect de Paris Sud, dans le 13ème arrondissement. Un flux constant défile dans cette permanence : des personnes ayant des questions techniques sur le numérique, le fonctionnement de leur portable ou de leur ordinateur, d'autres cherchant à s'équiper à des prix solidaires. « Chez les précaires ou les personnes avec des revenus modestes, le premier obstacle à l'accès au numérique, c'est le coût de l'équipement, explique Camille Cardenne, une des responsables du centre d'accueil. Ainsi, nous avons des étudiants qui maîtrisent parfaitement internet mais n'ont pas les moyens de s'offrir une connexion ou un ordinateur. Nous vendons ainsi des ordinateurs reconditionnés par nos bénévoles, pour moins de 150 euros».

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