Violences, humiliations, brimades
Des parents pointent une « dérive » d’Espérance banlieue (2-2)

Thierry Vincent

Dix ans après la création d’Espérance banlieues, un réseau d'écoles traditionalistes hors contrat cherchant à « arracher les enfants des quartiers à l’abandon scolaire », c’est la douche froide pour certaines familles qui y avaient placé leurs espoirs. Plusieurs parents que nous avons rencontrés dénoncent des méthodes dégradantes et humiliantes, du racisme larvé, et même parfois des violences physiques. Des plaintes ont été déposées.

Soudain, au bout de quelques minutes qui lui ont paru une éternité, le petit garçon plisse les yeux, comme pour empêcher les larmes de couler. Les traits se tirent, un léger reniflement, les yeux embués, Yassine, 8 ans, détourne le regard. Il n'en peut plus des questions du journaliste. Un long silence puis cette phrase, sortie spontanément : " je veux juste oublier ". Il engloutit ensuite le tiramisu que sa mère vient de lui commander, comme un réconfort éphémère.
Dans cette cafétéria d'Argenteuil, dans le Val d’Oise (95), au milieu des cités et des méandres d'autoroutes urbaines impersonnelles, elles sont plusieurs mamans, leurs enfants tourbillonnant autour d’elles, à dérouler des récits similaires : autoritarisme, humiliations en série, violences verbales et parfois physiques.
C'est pourtant pleines d'espoirs que ces dernières années, elles avaient vu s'implanter à Argenteuil ou Sartrouville des écoles du réseau " Espérance banlieue " se donnant pour objectif "d'arracher les gamins des quartiers à l'abandon scolaire". 

Proximité avec les milieux catho-tradi conservateurs

Proches de milieux patronaux conservateurs, les fondateurs du réseaux évoquaient fièrement leurs prestigieux donateurs (Suez, BNP Paribas, etc...). Et une pédagogie "infaillible" : des classes à petits effectifs, un retour à des méthodes traditionnelles (apprentissage syllabique de la lecture, vision chronologique de l'histoire, système de récompense punition), le tout sur fond de discipline et de rigueur. En 2017, ils étaient cités en exemple par François Fillon, alors candidat UMP à l’élection présidentielle, après avoir été salués par Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'éducation d'Emmanuel Macron. 

Pour la plupart maghrebines ou d’origine subsahariennes, issues de milieux modestes et portant le foulard, les mères d'Argenteuil ou de Sartrouville perçoivent avec espoir ces établissements privés d'un genre nouveau. " Dans le quartier, les écoles publiques sont assez pourries, explique Jamila. J'y ai vu une opportunité pour mon fils ".  " Lors des réunions d'information, ils nous disaient que nos enfants allaient devenir cadres, ingénieurs ou avocats ", renchérit Soraya. " Ils nous ont vendu du rêve ", répètent en choeur ces mamans.
Ce que ces parents n'avaient pas forcément perçu, au début, c'est la proximité des fondateurs d'espérance banlieue avec les milieux cathos tradis. Sur les sites des cours Charlemagne ou Charles Péguy, c'est pourtant au Puy du Fou, le parc historique contre-révolutionnaire crée par le très traditionaliste Philippe de Villiers, que les animateurs prévoient d'emmener les enfants. " Il faut leur inculquer le roman national ", lâche Marc-Henri Figuier, président de l'association Espérance banlieue d'Argenteuil. Un "roman national" ... catholique ? A Sartrouville, une discrète mention sur le site internet du cours Charles Peguy précise que le cri de ralliement de l'école est "Ultreïa" (une expression de joie du moyen âge liée au pèlerinage chrétien de St Jacques de Compostelle et pouvant se traduire par : "Aide-nous, Dieu, à aller toujours plus loin et toujours plus haut ").

Vous devez être abonné.e pour voir ce contenu

Déjà abonné.e ?