Fin de 90 Minutes
La première « mise au pas » de l’investigation à Canal + (8-42)

Jean-Baptiste Rivoire 

Dirigée de 1999 à 2006 par Paul Moreira, l'émission 90 Minutes a ouvert la voie à des programmes comme Pièces à Conviction, Complément d'enquêtes ou Cash Investigation.

Présentée de 1999 à 2006 par Paul Moreira, un ancien d'Actuel et de Libération passé par Le Vrai Journal de Karl Zéro, l'émission d'enquêtes 90 Minutes défraie rapidement la chronique grâce à la qualité de ses enquêtes. Mais de l'affaire Robert Boulin au passé extrémiste de José Manuel Barroso en passant par un crime de guerre commis par l'armée française en Côte d'Ivoire, la petite rédaction de huit journalistes expérimentés va rapidement déranger de puissants intérêts. Et suite à d'intenses pressions Chiraquiennes, 90 Minutes sera supprimée par Rodolphe Belmer un an avant l'élection présidentielle de 2007.

Au début des années 2000, Pierre Lescure (président historique de Canal + époque André Rousselet) est débarqué par Jean-Marie Messier, un proche d'Edouard Balladur qui a pris la tête de Vivendi. Suite à une gestion hasardeuse du groupe et à une révolte des salariés, Messier est à son tour débarqué et remplacé par Jean-René Fourtou.
Proche de Jacques Chirac, qui a été réelu en 2002, Fourtou nomme à la tête de Canal + un Breton issu du monde de la chimie: Bertrand Méheut. Surnommé "Baygon vert" par les salariés de Canal + qui moquent son manque d'aisance en public, Méheut assainit les finances, nomme un jeune talent du marketing, Rodolphe Belmer, à la tête de la chaîne... et tente sans succès de museler les Guignols de l'info, emmenés à l'époque par le très indépendant Bruno Gaccio.

L'affaire Boulin, une " barbouzerie Gaullistes ? "

Mais si les célèbres marionnettes en latex de Canal Plus parviennent à résister aux pressions Chiraquiennes, l’investigation, en revanche, va être mise au pas. Incarnée par le magazine 90 Minutes lancé en 1999 par Paul Moreira avec une équipe de journalistes salariés de Canal Plus - dont l'auteur de ces lignes - elle a longtemps joui d’une très grande indépendance éditoriale. Et de moyens exceptionnels à la télévision française (près de six mois d'enquête pour des sujets de 26 à 40 minutes). Sous Jacques Chirac, nous allons initier plusieurs documentaires de nature à embarrasser l’exécutif.
En 2001, Bernard Nicolas et Michel Despratx lèvent un coin du voile sur les barbouzeries gaullistes. Après des mois d’enquête, ils démontrent qu’en 1979, le ministre du Travail Robert Boulin (un gaulliste historique rallié à Giscard) ne s’est pas suicidé, mais qu’il a vraisemblablement été assassiné. En 2017, pour Envoyé Spécial, Benoît Collombat et Bernard Nicolas se pencheront à nouveau sur l’affaire et en viendront aux mêmes conclusions.

Des dizaines d'Ivoiriens tués par l'armée française

Une autre de nos enquêtes va provoquer une déflagration en Afrique de l’Ouest. En 2004, des dizaines d’Ivoiriens sont tués par balle à Abidjan lors d’une manifestation hostile à la présence française. Mais alors que la ministre française de la Défense Michèle Alliot-Marie nie toute bavure, des images récupérées par mon confrère Stéphane Haumant pour 90 minutes montrent des soldats français tirant sur la foule
Quand des chiraquiens font pression pour empêcher la rediffusion de ce scoop dévastateur, Stéphane Haumant comprend qu’il gêne le gouvernement. Seule l'intervention de Paul Moreira auprès de la direction de Canal + lui permettra de repartir tourner la suite de son enquête.
Après notre scoop sur ces dizaines d'Ivoiriens tués par l'armée française, en tout cas, Rodolphe Belmer fait savoir à Paul Moreira, patron de 90 Minutes, que désormais, tout projet d’enquête devra être « validé par la direction ».

Vous devez être abonné.e pour voir ce contenu

Déjà abonné.e ?