
« Main basse sur la presse », notre feuilleton d’été à retrouver chaque vendredi
Série extraite de « L’Elysée (et les oligarques) contre l’info », JB. Rivoire, Les Liens qui libèrent, 2022
Chantage à la pub, pressions éditoriales, prise de contrôle des Échos, au début du quinquennat Hollande, l'ultralibéralisme autoritaire de Bernard Arnault, homme le plus riche de France et propriétaire de l'empire du luxe LVMH, commence à faire grincer des dents.
Fin 2013, Complément d’enquête décide de s’intéresser à l’homme le plus riche de France : Bernard Arnault. Propriétaire de LVMH, des Échos et du Parisien, il a bâti un empire mondial du luxe de 120 milliards d’euros de chiffre d’affaires autour de marques réputées dans le monde entier (Dior, Vuitton, Guerlain, Moët & Chandon, mais aussi Séphora ou Carrefour, pour n’en citer que quelques-unes).
Chantage à l'argent de la pub
Dans le top 5 des annonceurs français avec ses multiples marques, LVMH maintient la presse française sous perfusion… et sous pression ! Comme en 2000, quand mécontent d’un article du Nouvel Observateur, Bernard Arnault avait privé l’hebdo de publicité. « La perte fut supérieure à un million d’euros », révèle quelques années plus tard Jean Stern, ancien journaliste de Libération. Et le cas ne serait pas isolé. À en croire plusieurs journalistes interrogés par l'auteur de ces lignes, le chantage à l'argent de la pub serait régulièrement utilisé par LVMH pour faire taire toute critique. Une arme qui stériliserait aussi l'édition : comment publier un livre qui sera invisibilisé par une presse dépendante économiquement de l'annonceur Bernard Arnault ?
En juin 2007, juste après que Nicolas Sarkozy s’est installé à l’Élysée, Bernard Arnault franchit un nouveau cap : il annonce vouloir prendre le contrôle des Échos, premier quotidien économique français. Patron d’un empire industriel, il devient aussi celui qui va payer les journalistes chargés d’éclairer les coulisses de cet empire !
« La dépendance conduit à l'autocensure »
La société des journalistes des Échos, en 2007
Cette situation de conflit d’intérêts déclenche une fronde inédite des journalistes des Échos. En quelques semaines, une pétition hostile à l’empereur du luxe recueille près de mille signatures. « Déjà, quand Bernard Arnault avait pris le contrôle de La Tribune, en 1993, on avait pitié de la journaliste en charge de la rubrique luxe », se souvient un ancien du journal. Face au mutisme de Bernard Arnault, les journalistes des Échos se mettent en grève. Puis leur Société des journalistes l’interpelle dans Le Monde : « Comment pourrions-nous enquêter et écrire sur vos multiples activités, sur celles de vos concurrents aussi ? À partir du moment où la suspicion naît sur une rubrique, elle se diffuse sur l’ensemble du journal. La dépendance conduit […] à l’autocensure, à la provocation et à bien d’autres dérives encore. Dans aucun grand pays capitaliste au monde, le principal quotidien économique n’est possédé par la première fortune locale, par un groupe gérant des dizaines de marques et l’un des plus importants annonceurs de la place. »