Megabassines, histoire secrète d’un mensonge d’Etat

« Megabassines, histoire secrète d’un mensonge d’Etat » (Off investigation/Reporterre, C. Feletin, B. Sevestre, J. Bouillet)

Entre Niort et La Rochelle, le marais poitevin est pollué et asséché depuis quelques années par des cultures intensives de céréales massivement subventionnées par les pouvoirs publics. Pour un documentaire que nous avons co-produit avec le média indépendant Reporterre, la réalisatrice Clarisse Feletin a sillonné le marais poitevin durant six mois pour rencontrer les principaux acteurs de la « guerre de l’eau » qui s’y déroule. Elle en a tiré cet article, et un documentaire de 55 minutes, second épisode de la saison 2 de notre série « Emmanuel, un homme d’affaires à l’Élysée »

Batelier dans le marais depuis ses 15 ans, Julien Le Guet est aujourd’hui porte-parole de Bassines Non merci 79, un collectif d’habitants opposés aux “réserves de substitution” destinées à l’irrigation, surnommées méga-bassines. Depuis les années 2000, il déplore que grenouilles et lentilles vertes disparaissent de ces canaux qu’on appelait encore récemment “la Venise verte” : « On est pas très loin de la qualité des eaux qu’on va trouver dans les égouts, nous raconte-t-il depuis son embarcation. C’est une eau très chargée en nitrate, (…) en molécules pesticides ». 

C’est après la Seconde Guerre Mondiale que le marais poitevin a commencé à être perturbé par le développement de l’agriculture intensive. Pour cultiver toujours plus de céréales, des exploitants ont reconverti 33 000 hectares de prairies humides destinées à l’élevage, en champs de blé ou de maïs. Pour ce faire, il a fallu drainer l’eau qui imbibait ces prairies, voire creuser des rivières pour l’évacuer vers la mer. Résultat : un marais qui s’assèche d’année en année.

« On a perdu 60 à 80 cm de sol, de tourbe »

Jean-Jacques Guillet, ancien maire d’Amuré. 

Devant son arbre préféré dont les racines sèchent désormais au soleil, Jean-Jacques Guillet, maire d’Amuré (Deux-Sèvres) de 1995 à 2014, explique : “On a perdu 60 à 80 cm de sol, de tourbe”. Selon lui, cette perte menace les arbres, qui garantissent un climat tempéré. Pour drainer l’eau du marais vers la mer, les exploitants ont construit de nombreux canaux de dérivation. « Ce sont les agriculteurs qui ouvrent ou qui ferment selon leurs envies. C’est grave parce qu’on assèche la nappe phréatique », alerte l’ancien élu.

Dans le camp d’en face, Thierry Bouret est l’un des plus riches céréaliers des Deux-Sèvres. Rencontré sur son exploitation historique située près de Mauzé-sur-le-Mignon, il ne souhaite pas s’étendre sur le nombre d’hectares qu’il exploite : « À chaque fois, c’est polémique. (…) La jalousie est le premier facteur de problèmes », justifie-t-il. 

Ce discret entrepreneur agricole du sud-ouest de Niort contrôle une holding financière avec de multiples sociétés dans la méthanisation ou l’immobilier. Possédant ou co-gérant sept exploitations  agricoles, qu’il a rachetées progressivement, son royaume  s’étend sur plus de 1800 hectares. 

“Boom du maïs”

Depuis quelques années, l’État l’autorise à avoir sa propre “bassine”. Pour irriguer ses immenses champs de maïs, il pompe un million de m3 d’eau par an dans les nappes phréatiques, soit autant que  la consommation annuelle de 35 000 habitants. Mais il assume : « Nous, on n’a pas une politique de cueillette. (…) L’été, on a souvent une période de sécheresse où on a besoin d’irriguer pour que les plantes puissent se développer normalement ». En réalité, l’irrigation lui permet surtout de “doubler sa production”, ce qui serait selon lui “nécessaire pour l’équilibre alimentaire du monde”.

Dans les années 1980, à l’instar de ce gros céréalier, une minorité d’irrigants (6% des agriculteurs) a  commencé à prélever beaucoup d’eau dans les nappes phréatiques de Nouvelle-Aquitaine, notamment en raison du “boom du maïs”. Originaire d’Amérique du sud, cette céréale tropicale consomme une grande quantité d’eau, car elle ne supporte pas les étés secs. Elle n’est donc pas adaptée au climat charentais, mais Thierry Bouret l’adore : « Elle est autant produite dans le monde parce qu’elle est supérieure aux autres »

Pour irriguer leurs champs de maïs, les céréaliers des Deux-Sèvres ont creusé au fil des années près de 600 forages entre Niort et la Rochelle. Du coup, le niveau des nappes phréatiques a baissé et les rivières de la région s’assèchent sur plus d’un millier de kilomètres chaque été. 

La France condamnée

En 1996, au vu de la destruction de la zone humide du marais poitevin, l’Europe lui  retire son label de “parc naturel régional”. Puis, en 1999, la France est condamnée par la Cour de Justice des Communautés Européennes pour “manquement à ses obligations de protection du marais poitevin”, assortie d’une astreinte de 150 000 euros par jour si l’État français ne réagit pas. 

Alors fonctionnaire territorial, Benoît Biteau est recruté par les régions concernées pour régler le contentieux. Il géolocalise 10 000 hectares de cultures de céréales dans les parties les plus basses du marais qu’il faudrait impérativement réhabiliter en prairies humides « pour que l’eau soit ralentie, retenue, pour qu’elle ait le temps de s’infiltrer, de recharger les nappes profondes »

 une bassine située près de Mauzé
En aout 2023, une bassine située près de Mauzé sur le Mignon (Deux-Sévres) en train d’être remplie (photo DR)

Mais en cette fin des années 1990, le “monde agricole” exige, en échange de reconversions en prairies humides, l’autorisation de construire des méga-bassines. Ces immenses réservoirs collectifs allant jusqu’à 14 terrains de foot sont remplis par des irrigants en pompant l’eau de la nappe phréatique durant l’hiver. L’été, ils servent à arroser les cultures. 

Au milieu des années 2000, quand les céréaliers des Deux-Sèvres s’engagent à reconvertir 10 000 hectares de champs de céréales en prairies humides permettant l’élevage, l’Union européenne donne son feu vert. La France subventionne la construction  d’une quinzaine de méga-bassines (dont dix en Vendée et cinq en Charente-Maritime).

Jeu de dupes

Cette politique d’irrigation aurait fonctionné si 10 000 hectares de champs avaient bien été reconvertis en prairies humides. Mais au final, seuls 1600 hectares l’ont été. Pour Benoit Biteau, l’Etat n’a pas protégé l’intérêt général contre les irriguants. « Si on laisse la profession, ils ne feront jamais rien. C’est eux qui ont retourné les prairies, ils ne vont pas les remettre en prairies », s’énerve l’eurodéputé écologiste aujourd’hui éleveur dans le sud du marais poitevin. 

Dénonçant une co-gestion des terres entre l’État et la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA), il aurait aimé que l’Etat adopte une “déclaration d’utilité publique” pour imposer la restauration de prairies humides. Cette solution n’ayant pas été adoptée, le marais poitevin a continué à être sacrifié sur l’autel de l’agriculture intensive. 

À Mauzé, Patrick Picaud, vice-président de Nature Environnement 17, constate l’assèchement du  Mignon. Au coeur du village, ce cours d’eau autrefois jaillissant est désormais envahi en été par des herbes folles : « L’irrigation est autorisée, donc la nappe (phréatique) va continuer à baisser. (…) Il y a une destruction de toute la faune aquatique,  qui va être obligée, l’an prochain, de se reconstituer, et qui sera encore détruite. Ça veut dire qu’il y a quelques mois de vie dans cette rivière », résume-t-il, amer. 

Pêcheurs comme conchyliculteurs sont pénalisés par cet assèchement. En aval, l’apport régulier d’eau douce manque aux moules et aux huîtres, qui pâtissent de l’accaparement de l’eau par les irrigants. 

En France, le code de l’environnement indique pourtant que l’eau du marais poitevin doit d’abord être réservée en priorité à la distribution d’eau potable, puis à la préservation des milieux aquatiques et terrestre, et en dernier lieu, si possible, aux usages économiques comme l’agriculture. Mais la hiérarchie légale des usages est quotidiennement violée. 

Macron « fan » de l’irrigation

En mars 2023, Emmanuel Macron dévoile son “plan eau” : « L’eau est indispensable à l’agriculture, elle est donc indispensable à notre souveraineté alimentaire, et nous allons avoir plus de surface irriguée dans les prochaines années, c’est une évidence ». Une focalisation extrême sur les irriguants que n’a pas appréciée Benoît Biteau : « Est-ce que vous mesurez le côté méprisant, le côté insultant même, pour les 94% d’agriculteurs qui ne sont pas irrigants ? ». 

Si l’on en croit le président, notre souveraineté alimentaire dépendrait de l’irrigation, alimentée par les méga-bassines. C’est loin d’être une évidence pour Mathilde Roussel, vice-présidente de l’agglomération de La Rochelle. Selon elle, il y a une surproduction de céréales et une sous-production de légumes. Du coup, en 2017, l’autonomie alimentaire de la région n’était que de 2%. Pour combler les besoins en maraîchage, il n’y aurait pas besoin de reconvertir l’ensemble des champs de céréales. « On nest pas obligés de complètement renverser la table », résume Mathilde Roussel. Le changement de culture dépend de ce qui est demandé par les consommateurs, selon la responsable politique.

Les blocages viendraient, entre autres, des coopératives agricoles, qui privilégient exportations et rentabilité. Comme Terre Atlantique, la plus ancienne Coop de la région, fondée en 1931. Pour Jean-Yves Moizant et Christian Cordonnier, respectivement président et directeur général, environ 60% de la production de la coopérative est exportée via le port de la Rochelle : « Si à une époque, (l’objectif) a été de nourrir, aujourd’hui, c’est la rentabilité qui compte aussi », assument-ils. 

La bassine de Pouillac
La bassine de Pouillac (Cram-Chaban, Charentes Maritimes), photographiée en aout 2023 (photo DR)

Depuis les années 1950, la coopérative a contrôlé progressivement tous les rouages du  système. Elle conseille et vend pesticides, fongicides et insecticides, profitant de la culture intensive. « On soigne les plantes et les pharmacies soignent les humains », tente de justifier Thierry Bouret. 

Dans la plaine céréalière d’Aunis, à quelques kilomètres à l’est de La Rochelle, la pollution de l’air atteint des niveaux records. À Saint-Rogatien, il y avait ces dernières années cinq fois plus de cancers infantiles qu’ailleurs en Charente-Maritime. Inquiète, l’agglomération de la Rochelle a dû fermer quatre captages d’eau potable après avoir constaté qu’ils étaient bourrés de résidus de pesticides, fin 2023. « On a un stress sur la quantité d’eau extrêmement important, qui est aussi lié à ce qu’il se passe dans les champs et la manière dont on cultive, et on a un stress sur la qualité de l’eau », alerte Mathilde Roussel.

Depuis 2008, l’État a demandé aux exploitants agricoles de réduire de moitié l’utilisation de produits phytosanitaires. Mais sous la pression de la FNSEA, Gabriel Attal vient de renoncer à tout objectif de limitation. 

Une décision de justice favorable à l’environnement

Conséquence directe de cette inaction, le marais n’est pas en bon état, contrairement à ce qu’affirme l’État. Dans les cours d’eau asséchés de la région, des milliers de poissons meurent chaque été. Depuis 2008, Patrick Picaud s’oppose aux méga-bassines au nom de Nature environnement 17. En 15 ans, l’association a lancé une trentaine d’actions en justice. 

En mai 2022, la Cour d’appel de Bordeaux interdisait définitivement l’utilisation des cinq premières méga-bassines de Charente: à La Laigne, Pauillac et Cram-Chaban. Elles sont jugées illégales car les études d’impact étaient largement insuffisantes, et ne permettaient pas de mesurer les effets des prélèvements de l’eau sur le niveau des  rivières et sur la faune aquatique. 

Une procédure judiciaire est toujours en cours contre 16 nouvelles bassines décidées dans le cadre d’un protocole “pour une agriculture durable”, ou plus de 200 manifestants avaient été blessés par la gerndarmerie en mars 2023.

Face à l’inaction de l’Etat, des associations de protection de l’environnement ont saisi la justice. Depuis 2008, Nature environnement 17 a lancé une trentaine de procédures judicaires. Résultat : en mai 2022, la Cour d’appel de Bordeaux interdisait définitivement l’utilisation des cinq premières méga-bassines de Charente : à La Laigne, Pauillac et Cram-Chaban. Elles ont été jugées illégales car les études d’impact étaient largement insuffisantes, et ne permettaient pas de mesurer les effets des prélèvements de l’eau sur le niveau des  rivières et sur la faune aquatique. 

Une procédure judiciaire est toujours en cours contre 16 nouvelles bassines initiées en 2018 dans le cadre d’un protocole “pour une agriculture durable”. Parmi elles, Sainte Soline. En mars 2023, 30 000 personnes avaient manifesté contre ce projet et la répression gouvernementale s’était soldée par un lourd bilan : plus de 200 blessés.

Il y a six ans, quand le protocole avait été signé, les pouvoirs publics avaient décidé de subventionner à 70% les 16 nouvelles méga-bassines, dont celle de Sainte Soline, à condition que les irriguants se regroupent collectivement : « Il était demandé par les services de l’État ou les agences de l’eau de porter un projet en collectif, donc les agriculteurs se sont organisés en coopératives, se souvient Luc Servant, président de la Chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine. (…) On s’engage, nous irrigants, à construire les réserves, à beaucoup moins prélever l’été ou à ne plus prélever l’été sur certains secteurs, ce qui sera bénéfique pour d’autres usages, avance l’irrigant. On va peut-être recevoir de l’engagement financier, mais on s’engage aussi à planter des haies, à faire évoluer nos cultures ». 

Du “ou”, mais pas de “et”

Mais suite à la signature de ce protocole, les opposants aux bassines découvrent rapidement que les engagements environnementaux de la préfète des Deux Sèvres sont un peu “bidons”.

En contrepartie des nouvelles bassines, les irrigants devraient respecter un de ces trois engagements suivants: replanter des haies, ou baisser de moitié l’utilisation de produits chimiques, ou effectuer  une rotation de culture, une obligation déjà exigée par l’Union européenne. « Ça aurait pu être une démarche de progrès, (…) si ça avait été des “et”, s’insurge Benoit Biteau. Mais c’est du “ou”. C’est-à-dire que vous plantez une haie autour de la bassine, vous avez les linéaires nécessaires pour avoir validé les engagements du protocole. Ça s’appelle du foutage de gueule », s’emporte l’élu. 

Pire : cinq ans après la signature du protocole de décembre 2018, les irrigants ne tiennent toujours pas leurs engagements. « Au bout de cinq ans, on aura tout mis en place », tente de rassurer Luc Servant. 

L’année de la signature du protocole des 16 nouvelles bassines du marais poitevin, les pouvoirs publics validaient un projet d’agrandissement du port de La Rochelle, en cohérence avec les ambitions d’Emmanuel Macron d’accélérer encore la mondialisation. Ce dernier affirmait : « Notre souveraineté est aussi dans l’accès à nos ports et la capacité de nos ports à irriguer nos terres ». 

Mais à La Rochelle, les autorités auraient dissimulé le réel motif de l’agrandissement du port. Dans les brochures du projet, on parlait “d’améliorer l’attractivité du port sur la filière pâte à papier”. Alors que le commerce de cette dernière est en déclin, une note confidentielle indiquait à l’époque que l’agrandissement du port avait pour but de doubler le volume des “produits forestiers” d’ici à 2027.

En réalité, La Rochelle est le deuxième port français exportateur de céréales, notamment en blé tendre vers le Maroc, l’Algérie, et l’Egypte. Or c’est sur la zone portuaire “Chef de baie 4”, là où sont chargées les céréales qui partent à l’export, que devaient se concentrer 25 millions d’euros de travaux. 

Selon une haute responsable s’étant confiée à Off Investigation sous couvert d’anonymat,  l’agrandissement du port de La Rochelle visait en réalité à augmenter les exportations de céréales. Seulement, il était difficile de l’assumer politiquement. Notre interlocutrice affirme que la transparence vis-à-vis de l’argent public n’a pas été respectée : « Il y a eu tromperie » jusqu’ “au niveau de l’Etat”. « Si moi, en ayant étudié ce projet, je m’en suis rendue compte, forcément d’autres s’en sont rendus compte », dénonce-t-elle. 

Des silos seront remplis de céréales, et de grands bateaux vont venir afin de « rentabiliser les investissements (…) faits pour les clients qui sont sur le port », conclut-elle. Sica Atlantique, une société créée par les coopératives agricoles de la région pour le transport de céréales, est l’un d’entre eux. Tout comme le groupe Soufflet, spécialisé dans le négoce de grains. 

Toujours plus d’exportations via La Rochelle

Au moment où est décidée la construction des nouvelles méga-bassines et l’agrandissement du port de La Rochelle, Soufflet anticipait une augmentation de ses ventes de 25 %. Les gros céréaliers du marais poitevin comme Thierry Bouret assument aujourd’hui de travailler principalement pour l’exportation : « Je ne suis pas pour la régulation de la population, donc il faut bien nourrir les personnes présentes. C’est notre devoir. » 

Un  “devoir” très lucratif. Car en exportant, les irrigants de Nouvelle-Aquitaine peuvent spéculer sur le prix des céréales. Grâce à d’immenses silos installés sur le port de La Rochelle, ils attendent que les prix soient au plus haut pour vendre, comme en cas de guerre. C’est ce que confirme Jean-Yves Moizant : « La guerre ukrainienne a redonné un peu de souffle, parce qu’on s’est retrouvé avec le prix des céréales qui s’est envolé ». 

Un cargo au port de la Rochelle
Un cargo au port de la Rochelle, aout 2023 (photo DR)

Les opposants aux bassines, eux, dénoncent un ”agri-business” cynique et irresponsable. Jean-Jacques Guillet prône une solution singulière : « Ceux qui aujourd’hui racontent qu’ils nous nourrissent et qu’ils nourrissent le monde, nous empoisonnent. (…) Ce serait d’intérêt général de les payer pour qu’ils restent chez eux à ne rien faire. » 

Comme l’ancien maire d’Amuré, Benoît Biteau est remonté, d’autant plus qu’en France, l’agriculture intensive est massivement subventionnée : « On est prêts à mettre 400 millions d’euros d’argent public sur la zone Poitou-Charente pour servir 6% des agriculteurs, qui ne représentent plus que 1,5% de la population. (…) C’est le pollueur qui est payé,(…) et le pollué qui est le payeur », s’étrangle-t-il.

Le coût de réparation des dégâts de l’agriculture intensive, notamment pour dépolluer l’eau, serait “entre 17 et 27 fois” supérieur à l’accompagnement d’une agriculture soutenable, estime l’eurodéputé.

Des militants écologistes harcelés

Depuis trois ans, Benoît Biteau endure intimidations, cyberharcèlement et il a même été la cible d’une tentative d’assassinat. Devenu député européen, il soutient une agriculture durable. En mai 2020, il a déposé deux plaintes contre Jackie Joubert, un agriculteur qui lui a tiré dessus alors qu’il déjeunait avec sa femme, son employé et la compagne de celui-ci. 

Entendu par les gendarmes après que Benoît Biteau soit parvenu à arraisonner son véhicule à l’arrière duquel une arme à feu fumait encore, Jackie Joubert s’est défendu en expliquant avoir visé des oiseaux qui mangeaient ses récoltes. Pourtant, selon Benoît Biteau, il « n’a pas une parcelle à moins de trois kilomètres de chez moi ». Etrangement, l’enquête a été classée sans suite par le procureur de Saintes Benjamin Alla.

A cette époque, Benoît Biteau espère être protégé par la gendarmerie, via sa cellule Demeter, créée en 2019 pour collaborer avec des syndicats agricoles dans l’optique de “lutter contre les violences du monde agricole”. Le député européen se verra répondre par l’adjudant de la brigade de gendarmerie de son secteur : « La cellule Demeter, ce n’est pas pour vous, vous êtes écologiste’ ».

Le 22 mars 2023, à La Rochelle, après une manifestation d’agriculteurs contre l’interdiction des pesticides et pour la poursuite de l’irrigation, certains ont déversé pneus et autres déchets dans la rue et le jardin de Patrick Picaud. En plus d’avoir vandalisé sa façade, ils ont agressé physiquement et verbalement sa femme, qui a reçu “des jets de pierre, du fumier, des pneus”, raconte d’un ton accablé le militant anti-bassines. 

Lorsqu’il est demandé à Luc Servant la raison du ciblage du vice-président de Nature Environnement 17, il explique qu’il est difficile de trouver des “moments d’échange” ou “des solutions en commun” avec “certaines associations”, qui optent pour le recours en justice. 

Un climat de méfiance 

Aujourd’hui, dans le marais poitevin, chacun vit sur ses gardes. À Sainte-Soline et Mauzé-sur-le-Mignon, les irrigants ont installé trois rangées de barbelés et des caméras autour des bassines. Malgré les nouveaux recours judiciaires, ils espèrent pouvoir passer en force. Une patrouille passe jour et nuit autour d’une troisième réserve d’eau, sortie de terre à Priaires ces derniers mois.

À la coopérative Terre Atlantique, Jean-Yves Moizant le reconnaît : à ce rythme, “une partie des cours d’eau” seront à sec l’été. « De toute façon, la planète restera, même sans eau l’été », estime-t-il. Avant de soupirer, d’un air dubitatif : « Parce que sauver la planète… ».

“On a perdu la bataille”

Thierry Bouret, qui exploite 1800 hectares près de Mauzé sur le Mignon

Si les gros irrigants ont toujours le soutien de l’État, le doute commence à s’immiscer dans les esprits avec les sabotages de bassines qui se multiplient, ainsi que les condamnations en justice. Thierry Bouret concède : « On considère qu’on a perdu la bataille, aussi bien médiatique, juridique… On va essayer de sauver ce qu’on peut, mais clairement, on a tous les vents contraires ». 

Dans l’autre camp, les opposants au méga-bassines font un constat unanime : on va droit dans le mur. “ Ce système aux logiques ultralibérales” bénéficie à « Bayer, Yara, Limagrain, Alfa Laval, Nestlé, Danone, Cargill », estime par exemple Benoît Biteau.

Pour sa part, Patrick Picaud dénonce une “manipulation” de certaines personnes de la FNSEA « pour continuer une agriculture qui est en train de détruire les petites exploitations ». « Tant que ça gagne, on joue, conclut, amer, Jean-Jacques Guillet. (…) C’est de l’autodestruction », estime-t-il. 

Cet hiver, dans les parties basses du marais poitevin, de fortes pluies ont détruit des centaines d’hectares de maïs plantés dans des prairies humides reconverties à l’agriculture, mais inondables. Cette fois-ci, la nature a repris ses droits, et elle aura probablement, au final, le dernier mot.