Régulièrement conspué lors de ses apparitions publiques, Emmanuel Macron recourt à des méthodes bien rodées pour tenter de minimiser l’impact médiatique de certaines séquences embarrassantes. Lors de son récent déplacement au Canada, des journalistes français se sont vus temporairement empêcher d’approcher un bain de foule en partie hostile au Président.
L’association de la presse présidentielle (APP) a rapporté le samedi 28 septembre que des professionnels de l’information avaient été entravés dans l’exercice de leurs fonctions lors du déplacement d’Emmanuel Macron au Canada, du 25 au 26 septembre. « À Montréal, les forces de l’ordre sur consigne de l’Élysée ont empêché des journalistes du pool TV français de couvrir un bain de foule en partie hostile au Président. L’APP conteste cette interdiction d’accéder à une scène publique qui va à l’encontre de la liberté d’informer », a écrit l’association sur le réseau social X.
À Montréal, les forces de l’ordre sur consigne de l’Élysée ont empêché des journalistes du pool TV français de couvrir un bain de foule en partie hostile au Président.
— Association de la Presse Présidentielle (@APresidentielle) September 28, 2024
L’APP conteste cette interdiction d’accéder à une scène publique qui va à l’encontre de la liberté d’informer.
Bien que sans ambiguïté sur l’atteinte à la liberté de la presse ici dénoncée, cette publication n’a pour l’heure fait l’objet d’aucune indignation de la part des grandes chaînes d’information en continu, pourtant directement dépendantes de la capacité des journalistes de terrain à exercer leur métier. Relayé sur X par le syndicat national des journalistes (SNJ), le post de l’APP ne semble pas non plus avoir alerté la presse écrite outre-mesure. A peine le sujet a-t-il été traité par les fact-checkeurs de Libération, dans un article en ligne que le journal réservait ce week-end à ses abonnés (désormais accessible à tous) et dont le titre interroge, dans tous les sens du terme : « L’Elysée a-t-elle empêché les médias de couvrir une manifestation hostile à Macron à Montréal ? »
Un CRS s’interpose entre Macron et la presse
Comme l’APP l’a expliqué dans son post initial et détaillé auprès de Libé, des journalistes ont bien été empêchés, le jeudi 26 septembre, d’exercer librement leur métier à Montréal, lors d’une montée de tension entre des manifestants et le chef de l’Etat : « Quand le président a commencé sa déambulation, les deux pools vidéo, qui étaient gérés par TF1, étaient à 50 mètres de la scène. Les services de communication de l’Elysée ont dit : “On ne bouge pas le pool.” Mais le pool a dit : “On y va quand même.” Et c’est là qu’ils se sont retrouvés empêchés par un membre des CRS [français] qui accompagnent les déplacements du président. L’agent s’est interposé en disant : “Je te laisse pas sortir.” L’ordre a donc été répercuté, et c’est là que ça devient vraiment problématique, même si personne n’a été ceinturé ou quoi que ce soit. Au final, la situation a duré quelques minutes et ensuite ça s’est débloqué et le pool a pu accéder à la scène », témoigne l’association.
Alors qu’Emmanuel Macron était confronté à des manifestants très remontés contre la politique étrangère de la France (particulièrement en ce qui concerne le Moyen-Orient), c’est donc un CRS français qui, selon l’APP, a empêché certains journalistes d’avancer, pendant plusieurs minutes, sur consigne de l’Elysée. Malgré nos tentatives, nous n’avons pour l’heure pas réussi à faire réagir le service presse du palais présidentiel sur cet épisode. Quant à la société de journalistes (SDJ) de TF1, nous n’avons trouvé aucun communiqué dénonçant cette entrave à laquelle ont été confrontés certains journalistes de la chaîne. Entrave qui n’a finalement pas empêché la télé de Martin Bouygues de présenter à son audience des vidéos montrant des manifestants interpeller le président français (TF1, 27 septembre).
Un épisode passé quasi inaperçu…
Selon Libé, Emmanuel Macron aurait au total été pris à partie et hué à deux reprises lors de son déplacement. Néanmoins, comme nous le mettions en lumière le 27 septembre, le chef de l’État s’est également fait surprendre au moins une troisième fois, par le militant politique canadien Yves Engler. Celui-ci a en effet tenté avec véhémence de faire réagir le président de la république sur le pillage historique d’Haïti par la France. Une méthode à laquelle cet activiste recourt régulièrement mais qui n’a cette fois pas débouché sur une réaction du principal intéressé, rapidement sorti d’affaire par les hommes de son cordon de sécurité. Contacté, Yves Engler nous explique pour sa part avoir été suivi pendant près d’une heure par un homme faisant a priori partie de ce dispositif, qui s’efforçait de le tenir à l’écart du président de la République. Le militant n’a en revanche cette fois pas été arrêté comme il a pu l’être lors de précédentes actions similaires.
⚡️MACRON INTERPELLÉ À MONTRÉAL SUR LE PILLAGE D'HAÏTI PAR LA FRANCE
— Off Investigation (@Offinvestigatio) September 27, 2024
👉Quasi-simultanément, l'emprise coloniale de la France sur Haïti a été abordée à la 79e assemblée générale de l’ONU :
🔎https://t.co/pAfdAWCeXn @EnglerYves pic.twitter.com/Qabenuw3Zc
Cette nouvelle atteinte à la liberté de la presse, sur consigne de l’Elysée, fait écho à notre enquête publiée en avril 2024, dans laquelle nous révélions comment le pouvoir macroniste tient régulièrement à l’écart des journalistes de certains lieux de pouvoirs, fixe ses règles pour mieux contrôler les échanges avec la presse, et enfin, cherche parfois à invisibiliser celui ou celle qui l’interpelle. Cette enquête nous avait également permis de découvrir que certaines de ces pratiques ne gênaient pas le moins du monde une partie de la presse accréditée, bien au contraire.
Le dernier voyage mouvementé du chef d’Etat français au Canada n’est pas sans rappeler certaines de ses récentes apparitions publiques perturbées par des huées à son endroit, comme cela s’est par exemple produit lors de la cérémonie de fermeture des jeux paralympiques. Depuis qu’il est président, Emmanuel Macron a par ailleurs déjà été évacué d’urgence de certains lieux face à des manifestations le visant directement. On se souvient par exemple de son exfiltration par les forces de l’ordre du théâtre des Bouffes du nord (Xème arrondissement de Paris) en janvier 2020, ou encore de son déplacement au Puy-en-Velay (Haute-Loire) lors duquel il a été contraint de fuir en urgence, à bord d’un véhicule, face à des Gilets jaunes réclamant sa démission (décembre 2018).
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