Macron contre l’info
Tout ce qu’il fait pour qu’on ne sache rien

Dès 2017, Emmanuel Macron s’en prend à la liberté de l’information : mensonges dans l’affaire Benalla, connivence avec les milliardaires des médias, instrumentalisation de la presse « people », espionnage, voire censure de journalistes. Pendant plusieurs mois, Off Investigation s’est plongé dans les rouages d’une mise à mal de la liberté d’informer, dont les perdants sont les citoyens. Un documentaire signé Matéo Larroque et Étienne Millies-Lacroix.

Dès son arrivée à l’Élysée en 2017, le couple Macron ouvre grand les portes du palais présidentiel à Michèle Marchand, dite « Mimi ». L’ancienne trafiquante de drogue et gérante de boite de nuit organise la communication d’Emmanuel et de Brigitte Macron depuis 2016, grâce aux « paparazzis » de son agence de presse Bestimage, notamment dans Paris Match (groupe Lagardère).

Face aux journalistes, Emmanuel Macron met rapidement en place une « distance légitime » : « La proximité à laquelle nous avons pu parfois nous habituer n’était bonne ni pour le pouvoir politique, ni pour l’exercice du métier de journaliste », déclare le président de la République lors de ses vœux à la presse le 3 janvier 2018, en allusion à la proximité que son prédesseur François Hollande entretenait avec les journalistes politiques. Le bureau de presse, traditionnellement installé au sein même de l’Élysée, doit déménager dans une annexe – démonstration de cette distance « entre le pouvoir et le contre-pouvoir » (avant que l’Élysée ne renonce à de déménagement qui mettait en lumière de façon un peu trop voyante sa volonté d’écarter la presse).

« [Emmanuel Macron] va court-circuiter une très grande partie des journalistes politiques […] pour s’adresser directement à l’opinion » 

François Bonnet, directeur du Fonds pour la Presse Libre

Peu à peu, les médias généralistes sont maltraités, voire mis sur la touche lors de ses voyages présidentiels. Emmanuel Macron privilégie la presse people, que Bestimage tient en main, et le président s’adresse directement aux Français via son compte Instagram ou sa chaîne Youtube. En 2021, il participe même à une vidéo humoristique des Youtubeurs français McFly et Carlito, tournée au sein même de l’Élysée. « Il va court-circuiter une très grande partie des journalistes politiques, qui tout de même, sont là pour assurer et participer à l’organisation du débat public, déplore François Bonnet, du Fonds pour la Presse Libre, avant de déplorer qu’Emmanuel Macron ait prit l’habitude de « s’adresser directement à l’opinion ». 

Étouffer le scandale Benalla

En 2018, le locataire de l’Élysée tente d’étouffer l’affaire Benalla. En marge de la manifestation du 1er mai 2018 à Paris, le journaliste indépendant Taha Bouhafs filme un homme frappant des manifestants. Identifié par la journaliste Ariane Chemin pour Le Monde, comme un proche collaborateur d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla est officiellement en charge de l’intendance, des voyages et des réceptions pour le Président. Mais contrairement à ce qu’affirme en juillet 2018 le porte-parole de la présidence Bruno Roger Petit, Alexandre Benalla n’est pas démis de ses fonctions à la suite des révélations du Monde. Tandis que les médias s’emparent de l’affaire, et que Le Monde révèle de nombreux privilèges dont bénéficie Benalla, Emmanuel Macron s’échauffe : « Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité […]. S’ils veulent un responsable, il est devant vous, qu’ils viennent le chercher ! » (juillet 2018, Maison de l’Amérique latine). Une provocation verbale qui s’accompagne, en mai 2019, de la convocation de la journaliste Ariane Chemin dans les locaux de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), comme elle l’expliquait sur France Inter fin mai 2019. 

Omerta sur les ventes d’armes

Ariane Chemin n’est pas la seule journaliste à être convoquée par la DGSI, un service normalement en charge de la lutte antiterroriste. Le 22 mai 2019, sa consœur de TMC Valentine Oberti révèle sur le plateau de Quotidien avoir, elle aussi, été convoquée par la DGSI deux mois plus tôt. Elle enquêtait à l’époque sur des armes françaises utilisées par l’Arabie Saoudite contre des civils au Yémen, en violation des engagements de Paris. 

En avril 2018, alors que la guerre au Yémen redouble d’intensité, la France annonce adopter « un processus de conclusion de contrats d’armement très spécifiques […] sur la base de critères renforcés qui tiennent compte du respect du droit international humanitaire et du risque de dommages sur les populations civiles ». Mais en octobre de cette année là, Valentine Oberti met la main sur un document confidentiel défense qui contredit la version des macronistes : près de 430 000 civils yéménites sont bien sous le feu des chars Leclerc et des canons Caesar vendus par la France à l’Arabie saoudite. Soumis à des pressions de la part du ministère de la Défense, le producteur de Quotidien Laurent Bon censure le sujet de la journaliste, puis lui ordonne de taire sa convocation par la DGSI.

C’est finalement le média indépendant d’investigation Disclose qui publiera le 15 avril 2019 les documents compromettants sur les armes françaises utilisées au Yémen. Fin 2021, le média révèle aussi que des repérages aériens français sont instrumentalisés par la dictature égyptienne du maréchal Abdel Fattah al-Sissi pour bombarder des petits trafiquants. Pour avoir révélé l’affaire, le ministère des Armées attaque Disclose qu’il accuse de « violation du secret de la défense nationale ». En septembre 2023, la journaliste Ariane Lavrilleux est placée en garde à vue pendant près de 39h et mise sous surveillance. « Qu’est-ce qu’il est en train de faire, ce pouvoir, pour tenter de se protéger ? Il est en train de s’attaquer à des fondements, analyse François Bonnet. Le secret des sources, c’est un fondement. Sans secret des sources, il n’y a pas d’information indépendante. »

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La presse traquée

Censurer et espionner des journalistes

Dès 2018, la macronie met en place une véritable machine de harcèlement judiciaire pour restreindre l’activité des journalistes. En juillet de cette année-là, l’exécutif fait voter, en procédure accélérée, la transposition d’une directive du droit européen visant à garantir la protection du secret des affaires. Bien qu’elle comporte des gardes fous pour les journalistes, cette transposition fait peser sur les rédactions un risque d’auto-censure, y compris pour des enquêtes d’intérêt public. Notamment en raison d’un flou juridique sur la « bonne foi » ou encore des difficultés d’accès aux documents administratifs.

Le 12 juin 2018, une vingtaine de journalistes et ONG manifestent à Paris et signent une tribune dans Libération. « Va-t-il oui ou non être le président qui va cautionner un affaiblissement du droit d’informer ? Va-t-il être oui ou non protecteur d’une loi qui est liberticide, qui affaiblit non seulement les journalistes, mais également les syndicalistes, les lanceurs d’alerte, les chercheurs ? », s’interrogent un journaliste et une avocate de Cash Investigation sur France Inter le 14 juin 2018.

En 2020, trois ans après le mouvement des gilets jaunes, qui compte un mort et 4 500 blessés par les forces de l’ordre, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, tente de faire interdire la captation vidéo des policiers par l’article 24 de la proposition de loi dite « Sécurité globale ». Le projet du premier flic de France sera par la suite invalidé par le Conseil constitutionnel. En mai 2023, les macronistes souhaitent aussi autoriser l’activation des micros, des caméras et de la géolocalisation des téléphones portables à l’insu des citoyens. Le Conseil constitutionnel rejette finalement les deux premiers et les députés la géolocalisation.

« Nous sommes pris en étau entre le pouvoir public et le capital, qui tous les deux en casse-noix, avancent ensemble pour nous empêcher de faire notre travail »

Aude Lancelin, fondatrice du média en ligne QG

La mise sous pression des journalistes par le pouvoir politique est à remettre dans un contexte plus large : le contrôle des médias par une poignée de milliardaires proches d’Emmanuel Macron, et qui bénéficient de sa complaisance. « On ne cesse de voir la liberté d’action des journalistes se réduire au niveau de la législation et nous sommes pris en étau entre le pouvoir public et le capital, qui tous les deux en casse-noix, avancent ensemble pour nous empêcher de faire notre travail », estime la journaliste Aude Lancelin, fondatrice de QG (Quartier Général).

Mais Bernard Arnault, Rodolphe Saadé et Vincent Bolloré ne s’arrêtent pas là : fin 2014, ils rachètent l’École supérieure de journalisme de Paris (ESJ). Une mainmise de taille sur la fabrique des journalistes.

Laurent Maudit, co-fondateur de Mediapart, tire les conclusions de la mise à mal des médias depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron : « Les grands perdants, ce sont les citoyens : pour exercer le droit de vote, il faut des citoyens éclairés. Et dans cette période de tourmente, […] il y aurait dû avoir à la puissance publique un sursaut. Défendre le droit de savoir des citoyens, c’est défendre la démocratie. »

« Macron contre l’info, tout ce qu’il faut pour qu’on ne sache rien » (Mateo Larroque, Etienne Millies-Lacroix, Off investigation, avril 2025)

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