
Élu à l’Élysée en 2017, Emmanuel Macron affirmait vouloir « rassembler » et « répondre aux attentes de tous les Français ». Mais très vite, il a multiplié les réformes fiscales favorisant les plus fortunés, notamment des propriétaires de médias comme Xavier Niel, Bernard Arnault, Patrick Drahi, Martin Bouygues ou ou Vincent Bolloré. Un documentaire signé Matéo Larroque et Etienne Millies-Lacroix.
Le 7 mai 2017, devant le musée du Louvre à Paris, Emmanuel Macron, qui vient de devenir le plus jeune président de la Ve République, promet de mieux prendre en compte les électeurs du Rassemblement national, représentés par Marine Le Pen, qui malgré sa défaite, vient de recueillir plus de dix millions de voix.
L’ex-associé-gérant de Rothschild au chevet des grandes fortunes
Mais dès le début de son quinquennat, ce sont avant tout les grandes fortunes de France que l’ex-associé-gérant de la banque Rothschild s’empresse de favoriser à grands coups de cadeaux fiscaux, avec, par exemple, la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF).
Jusqu’alors, il prélevait au maximum 1,5% du patrimoine des plus riches, taxés sur leurs biens immobiliers et leurs placements financiers. Avec Emmanuel Macron, ces placements financiers, qui constituent pourtant l’essentiel de la fortune des plus aisés, vont tout simplement échapper à l’ISF dès 2018. Or comme le relève Romaric Godin, journaliste à Mediapart, « Les ultra riches en France, la structure de leur fortune, c’est principalement du capital financier, c’est-à-dire ce qui a été exonéré d’impôt sur le patrimoine par la réforme de 2018 ».
Ces grandes fortunes, à qui Emmanuel Macron a fait d’importants cadeaux fiscaux, Monique Pinçot-Charlon les étudie depuis des années. Sociologue au CNRS, elle a cosigné un livre sur le sujet, Entresoi. « Ca raconte l’histoire d’une oligarchie, confie-t-elle à Off Investigation, un certain nombre de personnes qui sont issues des grandes familles fortunées de l’aristocratie et de la bourgeoisie, qui sont issues des mêmes quartiers, des beaux quartiers. » De nombreuses études confirment aujourd’hui que les 500 plus grandes fortunes de France, celles pour qui Emmanuel Macron a atténué l’ISF et dont le patrimoine a été multiplié par six en 15 ans pour atteindre près de 45% du PIB, ont été très avantagées par ces cadeaux fiscaux.
Un président qui assèche les ressources de l’Etat
L’Etat, en revanche, y a perdu beaucoup d’argent. Selon un rapport gouvernemental de 2023, le remplacement de l’ISF par l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI) aurait fait perdre quatre milliards d’euros aux finances publiques, rien qu’en 2022. Les revenus du capital, tels que les dividendes, sont également beaucoup moins taxés. Avant Emmanuel Macron, c’était jusqu’à 45% ; quand il arrive au pouvoir, le taux d’imposition est réduit à 12,8%. C’est la magie de la « flat tax », cet impôt à taux unique appliqué aux revenus du capital (intérêts, dividendes, plus-values) sans progressivité.
Bizarrement, les médias des milliardaires vont avoir tendance à escamoter ce taux d’imposition très bas, pour communiquer plutôt sur un « taux à 30% » intégrant les prélèvements sociaux. Un tour de passe-passe médiatique, selon Monique Pinçon-Charlot. « Quand il s’agit des revenus du capital, on intègre tous les prélèvements sociaux. Tandis que quand il s’agit des revenus des salariés, on ne les intègre jamais, parce que comme ça grimpe à 45%, on arriverait jusqu’à 60% », explique-elle.
Macron et Niel, une longue histoire d’alliances et d’intérêts croisés
Ces cadeaux fiscaux vont ravir les grandes fortunes propriétaires des médias. Notamment Xavier Niel, propriétaire du groupe Le Monde. L’amitié entre Emmanuel Macron et lui remonte à 2010. En 2014, ils visitent ensemble la Silicon Valley, en Californie. A l’automne 2018, Macron propose à Niel de candidater à la mairie de Paris, sous les couleurs de son mouvement, La République En Marche. Niel décline. Officiellement, son truc, c’est l’investigation, comme il l’explique en 2022 devant le Sénat. « Vous avez une jeune génération qui a envie de faire de l’investigation. Souvent, on a discuté de ça au Monde : est-ce qu’on ne devrait pas former plus de gens à faire de l’investigation ? » En 2011, Niel aurait pourtant reconnu en off dans un livre (Odile Benyahia Kouider, Un si petit monde, Fayard, 2011), que c’était plutôt pour faire taire les critiques qu’il investissait dans la presse : « Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et ensuite ils me foutent la paix. »
Questionné sur cet aveu au Sénat, Xavier Niel se montre embarrassé. « Euh, j’ai… J’ai un problème. Je suis sous serment. Et si je vous raconte quelque chose de faux, c’est cinq ans de prison. Je suis incroyablement ennuyé, parce que je ne sais pas quoi faire. Je n’ai jamais dit cette phrase. Maintenant, mes détracteurs, mes concurrents me la font toujours porter. » Rien de convaincant d’après la journaliste Aude Lancelin, ancienne directrice adjointe de L’Obs. « Xavier Niel profite, on va dire, de l’aura maléfique de Vincent Bolloré et sa percée fulgurante avec une ligne extrêmement radicale, pour se faufiler, et se faire passer quasiment pour le protecteur des journalistes et le saint patron des journalistes. »
Liaisons dangereuses entre Rodolphe Saadé et le président
Si Emmanuel Macron est protégé par Xavier Niel depuis le début de sa carrière politique, il peut désormais compter sur un autre milliardaire des médias, le franco-libanais Rodolphe Saadé. Propriétaire de La Provence (qu’il a raflée au nez et à la barbe de Niel en 2022), mais aussi de BFMTV et de RMC, il serait encore plus inféodé à l’Elysée. « Une fois, j’avais eu Xavier Niel au téléphone, à l’époque où ils se disputaient La Provence », raconte Laurent Mauduit, journaliste à Mediapart. « Il me dit : ‘Ce serait grave que Saadé prenne La Provence. Vous savez, il est macroniste !‘ ».
Ces dernières années, Rodolphe Saadé a en tout cas tout fait pour qu’Emmanuel Macron ne taxe pas ses superprofits maritimes. A la mort de son père Jacques en 2018, il hérite de la CMA-CGM, troisième groupe de transport maritime mondial. Milliardaire philanthrope, il finance des opérations humanitaires, des cantines solidaires et prête parfois ses bateaux. En 2022, le groupe enregistre un bénéfice record de 23 milliards d’euros. De quoi payer pas mal d’impôts? Que neni. Car depuis 2004, les compagnies de fret maritime ne sont plus taxées sur leurs profits (à 25% ou 33%, selon les époques), mais au tonnage. Sur le volume des marchandises transportées. (à environ 2,7% des bénéfices pour la CMA-CGM, actuellement). Très pénalisant pour l’Etat, ce cadeau fiscal avait été décidé du temps du ministre chiraquien Dominique Bussereau, qui avait ensuite… été recruté à prix d’or par la CMA-CGM.
Ces dernières années, Rodolphe Saadé aurait dépensé près de 2,5 millions d’euros pour dissuader les macronistes de le taxer à nouveau comme les autres entreprises françaises. Autre moyen de pression dont il dispose : ses médias (La Provence, la Tribune, la Tribune dimanche, et désormais BFMTV et RMC). Et il s’en sert, multipliant les unes complaisantes pour le président qui protège ses superprofits. En mars 2024, Gabriel d’Harcourt, directeur de publication de La Provence, avait même été convoqué au siège de CMA-CGM à la suite d’une Une jugée trop critique envers Emmanuel Macron. L’Élysée aurait téléphoné à Rodolphe Saadé pour s’en plaindre, selon Blast.
Bernard Arnault : influence politique et barbouzeries
Le président pactise depuis 2014 avec un troisième soutien, encore plus influent : le propriétaire de LVMH, homme le plus riche de France, voire du monde selon les périodes. A l’été 2024, Bernard Arnault et son épouse déjeunent au fort de Brégançon avec les couples Macron et Sarkozy. Le propriétaire de LVMH aurait suggéré à ce moment-là au président de la République des choix de Premiers ministres : dans l’idéal Gérald Darmanin ou Thierry Breton, au minimum une personnalité qui ne soit pas de gauche, écartant ainsi Lucie Castets, du Nouveau Front populaire.
La gauche, Bernard Arnault ne l’aime pas beaucoup. Au point de l’espionner ? A l’automne 2024, Bernard Squarcini, ancien chef du contre-espionnage français, et une dizaines de barbouzes qui avaient illégalement espionné François Ruffin à la demande de LVMH, étaient jugés à Paris. Convoqué comme témoin, avec l’ancien documentariste devenu député de la Somme à sa gauche, Bernard Arnault va marteler son message. En substance : « Je n’ai aucune responsabilité dans cette opération dont je n’ai pas eu à connaître. »
« On a un Bernard Arnault qui là, à l’audience, a tout oublié ou tout ignoré, s’étrangle Ruffin à la sortie de l’audience. Il se trouve que pendant trois ans, j’étais espionné jusqu’à mon domicile. Il y a des trombinoscopes qui figurent au dossier avec des photos de mes enfants, avec des numéros de plaques minéralogiques, des adresses personnelles, il avait déjà menti sous serment à la commission d’enquête du Sénat en disant que je venais là pour enfariner tout le monde, alors que je n’ai jamais eu de farine sur moi. » Le 7 mars 2025, la justice condamne Bernard Squarcini à 4 ans de prison, dont 2 fermes, et 200 000 € d’amende, pour avoir détourné les moyens de l’Etat au profit de LVMH.
Vincent Bolloré : épinglé par la justice, protégé en haut lieu
Le 13 mars 2024, Bernard Arnault est décoré par Emmanuel Macron du plus haut grade de la Légion d’honneur, devant de nombreuses stars telles qu’Elon Musk. Ce jour-là, Vincent Bolloré rend hommage à son ami Bernard Arnault devant l’Assemblée : « C’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’amitié ! », s’exclame-t-il.
Le milliardaire breton est de son côté empêtré dans plusieurs affaires de corruption en Afrique. En février 2021, épinglé par la justice française pour corruption active d’agents publics étrangers et complicité d’abus, Vincent Bolloré accepte une reconnaissance préalable de culpabilité. En clair, son groupe s’achète une impunité pour 12 millions d’euros. Il se débarassera ensuite de son empire africain. « En décembre 2021, est officialisé le fait que MSC et Bolloré entrent en négociation exclusive pour le rachat des activités africaines et logistiques de Bolloré », rappelle le journaliste d’investigation Marc Endeweld. Le groupe MSC n’est autre que la compagnie maritime des cousins d’Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée, et donc bras droit d’Emmanuel Macron, de 2017 à 2025.
Protéger les milliardaires, aider à l’optimisation fiscale des plus riches, banaliser l’extrême droite, telles auront donc notamment été les priorités d’Emmanuel Macron durant ses deux quinquennats. Loin, bien loin de ses promesses de 2017…
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