Macron 1er
La tentation autoritaire

Marc Endeweld

Mépris du " peuple ", passage en force contre tous les syndicats, refus d'un référendum, contournement de l'Assemblée nationale via l'article 49-3, violences policières, Emmanuel Macron se comporte comme un président-Roi. Beaucoup s'en étonnent aujourd'hui. Tout au long de son ascension, les signaux d'alerte étaient pourtant nombreux. Décryptage d'une tentation autoritaire.

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En août 2016, Emmanuel Macron visite le parc d’attractions du Puy-du-Fou en compagnie de son fondateur, le très droitier Philippe de Villiers. Une véritable « bromance » mise en scène. Le jeune loup apparaît alors tout sourire à ses côtés et va jusqu’à lui rendre hommage, saluant un « entrepreneur culturel ». Ce dernier répond avec la même emphase : « C’est la première fois que je vois un ministre conduire un char avec autant d’audace et surtout cette capacité à apprendre […]. Je pense qu’il y a pour Monsieur Macron, devant lui, un avenir pour conduire toute sorte de char. »

Aux journalistes qui demandent au ministre les raisons d’une telle visite, Macron répond droit dans ses bottes : « Pourquoi, c’est étonnant ? […] L’honnêteté m’oblige à vous dire que je ne suis pas socialiste. » Quelques jours plus tard, le jeune homme pressé de 38 ans retrouvera entièrement sa « liberté » après avoir donné sa démission à François Hollande. Sans scrupule. Quelques jours plus tard, il en aura encore moins quand il recevra, discrètement cette fois-ci, à petit-déjeuner une dizaine de prêtres, dont certains connus pour leur engagement contre le mariage pour tous, comme l’abbé Grosjean ou Pierre Amar, tous deux curés du diocèse de Versailles. 

Quelle manière étrange de concevoir la sortie de tous les « conservatismes » de droite comme de gauche qu’il appelle alors de ses voeux ! Lui qui affirme son ambition de rassembler tous les « progressistes » finit par irriter son plus fidèle soutien, son mentor historique, l’industriel Henry Hermand, ami et financeur de Michel Rocard, qui n’a pas du tout apprécié ses sourires aux côtés du vicomte de Vendée : « Je n’ai pas compris pourquoi il est parti au Puy-du-Fou et je l’ai d’ailleurs dit à Emmanuel. D’autant qu’il est apparu bien trop proche de Villiers. C’était trop. » 

Dès cette époque, Emmanuel Macron déconcerte donc jusqu’à ses plus fidèles. Chacun au sein de la classe politique française projette alors dans le « macronisme » sa propre identité politique, comme pour mieux se rassurer. Au risque de quiproquos. Artisan infatigable des centres, de gauche comme de droite, François Bayrou a ainsi pensé, après son médiatique ralliement en février 2017, devenir le partenaire indispensable de Macron. Même si le futur président en campagne a répété publiquement le contraire, réfutant toute forme de « ticket », sans doute le maire de Pau espérait-il secrètement devenir son Premier ministre. « La grande erreur de Bayrou est politique, et non humaine, me décrypte à l’époque un soutien du président. Il a pensé que Macron était d’abord un centriste. Or, si Macron prend l’espace politique du centre, il bouscule avant tout les codes. En réalité, son projet est beaucoup trop bonapartiste pour être fidèle au centre ». 

Le mot est lâché : le projet Macron est en fait d’inspiration bonapartiste. 

Même quiproquo du côté du PS : présenté comme libéral sur le plan économique lorsqu’il devient ministre de l’Économie de François Hollande, certains socialistes ou écologistes ont cru qu’il l’était également sur le plan politique, héritier de la « troisième voie » chère à Tony Blair, ou qu’il était « social libéral » à la manière d’un Justin Trudeau ou d’un Bill Clinton. 

En réalité, son « libéralisme » économique est à la fois complaisant à l’égard de la grande finance internationale et à l’égard des identitaires qu’il instrumentalisme comme autant de « repoussoirs » pour asseoir son pouvoir. Cette forme de populisme renversé, technocratique, lui permet d’évacuer de l’espace politique la question sociale au sens où on l’entend en France depuis le XIXème siècle, issue de ces luttes populaires qui ont pourtant permis de renforcer notre démocratie. En réalité, le sujet d’Emmanuel Macron en 2017 n’était  pas celui de la justice ou de l’émancipation (contrairement à ce que laissaient entendre alors ses communicants). Le jeune ambitieux voulait surtout sauver un système institutionnel et économique à bout de souffle. Coûte que coûte. Sa posture européenne mêle ainsi appel au débat démocratique et injonction technocratique. Autre absence notable chez lui : le questionnement sur notre modèle de développement et son essoufflement.

Rien de mieux pour séduire des élites dépressives qui n’attendaient finalement qu’un homme fort – un homme qui tape du poing sur la table. Il n’est pas surprenant que les mêmes, peu de temps après, aient  regardé de manière complaisante ce qui s’est produit au Brésil avec Bolsonaro.

Loin d’un Nicolas Sarkozy ou d’un François Hollande, Emmanuel Macron a un rapport au pouvoir totalement décomplexé, « transgressif », s’extasiaient en choeur les commentateurs de plateaux télé. On le voit encore aujourd’hui avec sa pratique très maximaliste de la Vème République, qui comprend des éléments autoritaires. 

" Parenthèse démocratique "

En enquêtant sur lui dès 2014, j’avais ainsi remarqué très tôt son ambivalence par rapport à la démocratie. Ainsi, dans l’un des rares articles qu’il a écrit en 2011 dans la revue Esprit, intitulé « Les labyrinthes du politique. Que peut on attendre pour 2012 et après ? », il avait expliqué que sur les questions budgétaires, il assumait une parenthèse démocratique, la dépossession des populations par le cadre supranational européen. Cela dénotait un rapport assez problématique à la souveraineté populaire. Il exprimait à cette occasion une pure posture technocratique sans aucun complexe.

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