
Le tribunal judiciaire de Paris a rejeté une demande de l’association religieuse israélienne « Hekdesh du Tombeau des rois », qui souhaitait devenir propriétaire du célèbre monument de Jérusalem-Est, sous pavillon français depuis 1886.
Le tribunal judiciaire de Paris a rendu sa décision le 15 janvier 2025 : l’association religieuse israélienne « Hekdesh du Tombeau des rois » ne deviendra pas propriétaire du monument historique du même nom. Situé à Jérusalem-Est, il est propriété de la France depuis 1886.
La justice française n’a donc pas reconnu à l’association israélienne le droit de revendiquer la propriété du site historique. Ce jugement repose notamment sur la décision d’un tribunal rabbinique mobilisé par Hekdesh du Tombeau des rois en 2014. Elle avait autorisé les haredim, (ou « craignants-Dieu »), juifs ultra-orthodoxes, à « gérer et traiter, auprès de toutes les instances autorisées, […] tous les documents du cadastre et du registre foncier, ainsi que les documents de taxes foncière » (relatifs au tombeau des rois, ndlr). Une décision qui, pour le tribunal judiciaire de paris, n’induit pas un droit à « revendiquer, pour elle-même, la propriété de l’ensemble immobilier constituant le Tombeau des Rois ».
L’association, qui pourra faire appel de la décision, a été condamnée à verser 3 000 euros à l’État français. Contacté par Off investigation, son avocat n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Un monument convoité par les ultra-orthodoxes
La procédure, engagée depuis mai 2019, est menée par l’avocat franco-israélien Gilles-William Goldnadel, fondateur et président de l’association des Juristes juifs pour les droits de l’homme (renommée Avocats sans frontières en 1987), et un ancien membre du comité directeur du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). À l’initiative de la plainte : le franco-israélien Haim Berkovits, et les rabbins Isaak Mamo et Jacob Zalsman.
Ce n’est pas la première fois que les cercles haredim revendiquent le Tombeau des rois. En 2015 déjà, Isaak Mamo et Jacob Zalsman avaient tenté de traduire la France devant un tribunal rabbinique pour l’occupation d’un lieu saint du judaïsme (The Times of Israel, décembre 2018). Les autorités françaises avaient refusé de se soumettre à l’instance religieuse, confortées dans leur position par le ministre des Affaires étrangères israélien de l’époque (Le Figaro, janvier 2019).
Le Tombeau des rois, un lieu saint stratégique pour Israël
Le Tombeau des rois a été acquis par les frères français Pereire en 1878, avant d’être légué au domaine national français à la fin du XIXe siècle. En contrepartie, la France s’est engagée à « le conserver à la science et à la vénération des fidèles enfants d’Israël » et à « n’apporter, dans l’avenir, aucun changement à sa destination ». Mais depuis 15 ans, l’accès au lieu est source de conflit. Fermé au public pour travaux de restauration en 2010, le monument vieux de 2 000 ans a rouvert en octobre 2019. En juin de la même année, sa réouverture avait été perturbée par des manifestations et des intrusions forcées dans le site de la part d’ultra-orthodoxes, dont les instigateurs de la plainte déposée contre la France. En cause : son importance pour les juifs, mais aussi la situation complexe d’une Jérusalem coupée en deux entre Israël et la Cisjordanie.
Car le Tombeau des rois n’est pas qu’un lieu sacré. C’est aussi un enjeu stratégique dans la politique de colonisation d’Israël en Cisjordanie. Il est situé dans le quartier musulman de Cheik Jarrah, un secteur de Jérusalem occupé par Israël depuis 1967 et dont l’annexion n’a jamais été reconnue par la communauté internationale. Le tombeau est victime des politiques expansionnistes des nationalistes religieux israéliens, qui tentent de grignoter le territoire palestinien en multipliant les implantations juives.
Haim Berkovits et Isaak Mamo sont des personnages clés de ce déploiement, illégal selon le droit international. Tous deux participent activement à l’expansion d’Israël à Jérusalem-Est, en expropriant des biens appartenant à des Palestiniens. « J’ai travaillé dans le secteur immobilier et participé à des rachats de maisons arabes », avait témoigné Haim Berkovits au Figaro en septembre 2019. « J’en suis fier », avait-il ajouté. Par le biais de son avocat, Isaak Mamo avait également déclaré au quotidien français aider « des personnes à rendre des biens juifs en Palestine à leurs propriétaires légitimes ».
Polémiques franco-israéliennes à Jérusalem
Le Tombeau des rois n’est pas la seule propriété du domaine français au Levant : en tout, trois autres lieux importants sont sous mandat français depuis l’Empire ottoman. Un statu quo confirmé par Israël peu après sa création, et reconnu par l’Autorité palestinienne.
Première acquisition, l’église Saint-Anne. Construite par les croisés en 1140, elle devient ensuite une école coranique en 1192 à la suite de la conquête de Jérusalem par Saladin – le premier dirigeant de la dynastie kurde des ayyoubides, qui a régné sur l’Égypte puis la Syrie. L’église est offerte à la France en 1856, pour remercier Napoléon III d’être intervenu dans la guerre de Crimée. En 2020, Emmanuel Macron s’était emporté contre un policier israélien qui l’avait bousculé lors de sa visite de l’église Sainte-Anne (Libération, janvier 2020). Une séquence qui n’est pas sans rappeler celle de la visite houleuse du Président Jacques Chirac, en 1996, dans la même église. « Do you want me to go back to my plane ? », s’était alors exclamé le président français, furieux que les services de sécurité israéliens entravent un bain de foule avec les Palestiniens du quartier.
"WHAT DO YOU WANT!?"
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En 1868, c’est au tour de l’Eleona – ou église du Pasteur Noster – d’aborder le pavillon français. Situé sur le mont des Oliviers, dans la partie palestinienne de Jérusalem, le cloître est construit sur le site sur lequel Jésus aurait enseigné le Notre Père à ses disciples. Il est donné à la France par Aurélie de la Tour d’Auvergne, qui en fit l’acquisition en 1856. Depuis 1874, le site est occupé par l’ordre du Carmel, un ordre religieux catholique. Le domaine n’échappe pas aux tensions diplomatiques qui entourent les propriétés françaises à Jérusalem. En novembre 2024, en marge du voyage diplomatique du ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, deux gendarmes français avaient été arrêtés par des policiers israéliens dans l’enceinte de l’Eleona, avant d’être relâchés (Courrier international, novembre 2024).
🚨 La police 🇮🇱 a arrêté 2 gendarmes 🇫🇷 dans le domaine français de l'Eléona (Jérusalem-est), lors de la visite du ministre @jnbarrot à Jérusalem.
— Off Investigation (@Offinvestigatio) November 7, 2024
👉 Cet incident intervient une semaine en amont de la venue à Paris du ministre israélien Bezalel Smotrich.pic.twitter.com/kfyel6sq78 https://t.co/JcMFv9vCHT
Dernière possession française : le monastère d’Abou Gosh, à quelques kilomètres de Jérusalem. Il aurait été acquis par l’ambassadeur de France en 1873 en contrepartie de l’église Saint-George de Lydda, auprès des Grecs orthodoxes. Des bénédictins occupent le lieu depuis 1903 (TFI, novembre 2024).
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