Le Pen et la torture en Algérie
Le cafouillage du « monsieur mémoire » de Macron sur France Inter

Jean-Baptiste Rivoire 

Emmanuel Macron et Benjamin Stora avec le ministre Algérien des affaires étrangères Ramtane Lamamra lors d'une visite au monument aux morts d'Alger le 25 aout 2022 (Photo Ludovic MARIN / AFP)

Le 27 février 2023, l'historien Benjamin Stora, auteur du rapport public "Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie" commandé en juillet 2020 par Emmanuel Macron, a laissé dire sur France Inter que « Jean-Marie Le Pen n’a sans doute pas pratiqué la torture en Algérie ». Hallucinante, cette affirmation du présentateur de l'émission qui confine au révisionisme balaye les très nombreux documents historiques et témoignages rassemblés depuis les années 2000 par des journalistes d'investigation comme Florence Beaugé, du Monde, ou José Bourgarel, qui permettent au contraire de penser que Jean-Marie Le Pen a bien torturé, voire fait exécuter des insurgés durant la guerre Algérie.

Le 27 février dernier, dans "Jean-Marie Le Pen, l'obsession nationale" un podcast signé Philippe Collin dont l'épisode 2, "Le chagrin et le ressentiment (1956-1962)", donnait la parole à Benjamin Stora, le "monsieur mémoire" d'Emmanuel Macron déclarait à propos de Jean-Marie Le Pen (qui s'était engagé dans les paras pour participer en tant que lieutenant à la guerre d'Algérie) : « En fait Jean-Marie Le Pen, à ma connaissance, quitte l’Algérie au moment où on commence la bataille d’Alger. Et c’est surtout pendant la bataille d’Alger, sous la conduite de Robert Lacoste et du général Massu, bien sûr, que va s’organiser la plus terrible des batailles où sera pratiquée la torture en Algérie. Donc, à ce moment-là, à ma connaissance, Jean-Marie Le Pen n’est pas en Algérie. » A quoi le commentateur de France inter, Philippe Collin, ajoutait, sans être contredit : « Donc le soldat Le Pen n’a sans doute pas pratiqué la torture en Algérie. » Hallucinante, cette séquence aboutissant à innocenter Jean-Marie Le Pen a conduit la journaliste du Monde Florence Beaugé à protester. En 2002, elle avait réalisé pour Le Monde une remarquable enquête étrangement introuvable aujourd'hui (mais rapellée ici) aboutissant à la conclusion que Jean-Marie Le Pen, présent à Alger début 1957 en tant que lieutenant du premier régiment étranger parachutiste (1er REP), y avait bien torturé des civils soupçonnés de s'être ralliés au FLN. Lors de son enquête, Florence Beaugé avait même remis la main sur un poignard que Jean-Marie Le Pen avait oublié au domicile d'un insurgé sévèrement torturé et finalement abattu d'une rafale de mitraillette. Cette opération dans la casbah d'Alger avait été menée par une vingtaine de parachutistes commandés par le lieutenant Le Pen.

Les jours suivants la polémique, Benjamin Stora a reconnu une "erreur" mais Philippe Collin, l'animateur de France Inter ayant déclaré que Jean-Marie Le Pen n'avait " sans doute pas pratiqué la torture en Algérie" se contentait de publier sur le site de la radio publique le nota bene suivant :

" Dans l’épisode 2 de notre série consacrée à Jean-Marie Le Pen, et en accord avec l’historien Benjamin Stora, nous avons décidé de préciser son propos quant à Jean-Marie Le Pen et la torture en Algérie. Nous avions initialement utilisé la formule Jean-Marie Le Pen n’a sans doute pas pratiqué la torture en Algérie mais nous avons finalement fait le choix d’utiliser les mots suivants pour être plus explicites : On ne peut pas prouver que Jean-Marie Le Pen a torturé en Algérie mais c’est une possibilité. Cette modification éclaire la démarche d’un historien dont le travail consiste à s’appuyer sur des archives (traces administratives, dossiers militaires, etc…) qui constituent des preuves. Et ce, sans remettre en cause les enquêtes de journalistes comme Florence Beaugé, qui eux, s’appuient sur des témoignages algériens accusant Jean-Marie Le Pen d’avoir pratiqué la torture. Notons qu’en 2005, la justice a fini par débouter Jean-Marie Le Pen dans sa plainte pour diffamation contre madame Beaugé et le journal « Le Monde ".

Vous devez être abonné.e pour voir ce contenu

Déjà abonné.e ?