Correctionnalisation des viols : histoire d’une dérive judicaire

Nicole Belloubet, ancienne ministre de la justice
French Justice Minister Nicole Belloubet attends the presentation of a new national plan to fight drug trafficking, called 'OFAST' on September 17, 2019, in Marseille, southern France. (Photo by CLEMENT MAHOUDEAU / AFP)

Dès les années 70, à linstar du célèbre écrivain pédophile Gabriel Matzneff, un certain nombre dintellectuels estiment que la justice sanctionne trop sévèrement les relations sexuelles entre majeurs et mineurs. Ils ne vont être que partiellement suivis par le législateur, mais vont recevoir une aide inattendue sur le chemin de ladoucissement des peines sanctionnant les abus dinnocence : celles de magistrats qui vont, ni plus ni moins, cesser dappliquer strictement la loi pénale. A l’heure où le gouvernement Borne affirme vouloir protéger l’enfance en danger, nous avons enquêté sur cette longue dérive judiciaire.

« Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le revivre » disait l’écrivain George Santayana. Fin 2017, deux faits-divers défraient les chroniques judiciaires. L’acquittement par une cour d’assises d’un homme de 30 ans accusé de viol sur une fillette de 11 ans, au motif que cette dernière était "consentante". Et la requalification, durant l’instruction judiciaire, en "atteinte sexuelle", du viol d’une autre enfant de 11 ans par un individu de 28 ans, pour ce même motif que la gamine aurait "accepté les relations sexuelles" avec cet homme de 17 ans son aîné.

Les parents de France s’indignent, de nombreuses associations aussi : quelle latitude de "consentement " ont des enfants face à des adultes, concernant de surcroît des actes dont ils ignorent largement les possibles conséquences ? Bref, ces décisions de justice font scandale.

Tant et si bien que la ministre de la justice de l’époque, Nicole Belloubet, plaide dans les médias pour une "présomption de non consentement avant l’âge de 13 ans". Emmanuel Macron va plus loin : «  J'ai une conviction personnelle que je veux vous partager. Nous devons aligner l'âge de consentement sur celui de la majorité sexuelle, à 15 ans, par souci de cohérence et de protection des mineurs », renchérit le chef de l’État le 25 novembre 2017.

Un mineur ne peut valablement consentir en dessous de 15 ans

Et moi, quand j’entends ces belles déclarations, je suis médusée. Je me dis « mince alors, ils sont en train de foutre en lair la majorité sexuelle ! ». Pourquoi ? Parce que réclamer l’instauration d’une règle, c’est prétendre qu’elle n’existe pas déjà. Or, la majorité sexuelle, établie à 15 ans depuis 1945, c’est précisément " l’âge à partir duquel un mineur peut valablement consentir à des relations sexuelles (avec ou sans pénétration) avec une personne majeure à condition que cette dernière ne soit pas en position d’autorité à l’égard du mineur ". L’âge de consentement est donc celui de la majorité sexuelle, au risque de contredire le chef de l’État.  Ce n’est pas moi qui le dis, cette définition est celle que le Conseil constitutionnel avait rappelé en 2012, puis à nouveau en 2015. Et elle est claire, non ? Elle signifie que, a contrario, un mineur ne peut valablement consentir en dessous de 15 ans. Et si le majeur est en position d’autorité à l’égard du mineur, cet âge de la majorité sexuelle est porté à 18 ans. Le Conseil constitutionnel rappelle aussi ce dernier point dans sa jurisprudence de 2012.

Que Nicole Belloubet, membre du Conseil constitutionnel de 2013 à 2017, puis garde des Sceaux, l’ignore, me laisse perplexe. Et j’aurais vraiment pensé qu’Emmanuel Macron était très au fait de ces subtilités juridiques. Depuis que Brigitte Macron, professeur dans le lycée qu’il fréquentait adolescent, risquait des poursuites judiciaires pour l’avoir séduit illégalement alors qu’il était mineur, la loi n’a pas changé. Elle est juste toujours aussi mal appliquée. Il y en a qui sont condamnés, et d’autres qui ne sont même pas poursuivis.

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