L’AP-HP visée par une plainte pour « harcèlement moral »

Emilie Hardouin
Emilie Hardouin devant l'hopital Tenon, à Paris, en octobre 2023 (photo Valentin Wender)

Ancienne cadre à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP), Émilie Hardouin dénonce un harcèlement moral et sexuel qui se serait produit dans différents hôpitaux parisiens où elle était affectée, entre 2015 et 2019. Cinq de ses anciens responsables et collègues, mais aussi l’AP-HP, en tant que personne morale, et Agnès Buzyn, alors ministre de la santé, sont mis en cause dans une plainte avec constitution de partie civile déposée en juin 2020.

De 2011 à 2018, Emilie Hardouin est “cadre administratif de pôle”, soit contrôleur de gestion au sein du pôle oncologie hématologie du groupe hospitalier de l’Est parisien, qui regroupe les hôpitaux Tenon, Saint-Antoine, Trousseau, Rothschild et La Roche-Guyon.
Elle travaille alors en binôme avec Martine Seulin, “cadre paramédicale de pôle”, sous la responsabilité d’un “médecin chef de pôle”, le professeur Guy Leverger.

Rencontrée à plusieurs reprises par Off Investigation, Émilie Hardouin raconte plusieurs comportements déplacés du  professeur Leverger entre 2015 et 2017. À l’occasion d’entretiens ou de réunions seul à seul, il aurait eu tendance à multiplier les blagues sexistes, voire graveleuses, comme sur les congés maternités du service. À une jeune collègue d’Emilie, il aurait dit un jour en réunion “Vous n’êtes pas là pour penser”. Dès sa prise de poste en 2011, celle ci avait fait part à Emilie Hardouin de ses craintes de travailler trop longtemps avec Guy Leverger. Dans ce contexte oppressant, au fil des mois, Emilie a le sentiment que la frontière entre le travail et le privé se brouille.

D’autant que quelques mois auparavant, en décembre 2014, sa collègue Martine Seulin avait quitté son poste en claquant la porte. Selon Emilie, elle aurait été prise dans un conflit de pouvoir entre mandarins au sein du Pôle. Également chef du service hémato-immuno-oncologie de l'hôpital Trousseau, le professeur Leverger, craignant de ne pas être reconduit en tant que chef de pôle, aurait instrumentalisé Martine Seulin dans un conflit avec un chef de service reconnu du pôle.


« Je faisais tourner le pôle seule »

Emilie Hardouin, cadre administratif de pôle au Groupe hospitalier de l'est parisien

Suite au départ de cette dernière, de janvier à juillet 2015, Emilie Hardouin assure l’intérim de son ancienne collègue en plus de ses fonctions. A cela, se serait ajouté un repli de Guy Leverger, son responsable, sur ses activités de chef de service. « Je faisais tourner le pôle seule », se souvient Emilie.

Pendant l’été 2015, un collègue souhaitant la voir changer d’établissement lui propose de venir visiter discrètement son service. Pressentant des années difficiles à son poste actuel, Emilie Hardouin indique en évaluation annuelle à Renaud Pellé, le directeur adjoint du groupe hospitalier de l’Est parisien, qu’elle souhaite évoluer en direction. Selon elle, sa démarche est « perçue comme une trahison » par Guy Leverger qui lui aurait manifesté colère et déception.

A l’arrivée de Muriel Garric, nouvelle cadre paramédicale de pôle, Emilie Hardouin est placardisée à un étage vide. Le 8 juillet 2015, alors qu’elle réclame par mail un bureau décent à un responsable de l’organisation de l’hopital, c’est Guy Leverger qui lui renvoie un mail tardif et ambigu. À 23h09, en prenant soin d’enlever les membres de la direction et sa collègue en copie, Il indique à Émilie Hardouin qu’elle devrait  “ être plus persuasive pour arriver à ses fins…”. Habituée à la communication équivoque du chef de pôle, elle répond très mal à l’aise “cela ne va pas être possible” et recentre l’échange sur l’objet de sa demande.

Malgré ce contexte pesant, cet été là, Émilie Hardouin est renouvellée à son poste pour 4 ans, par le directeur général du groupe hospitalier de l’est parisien, sur demande de Guy Leverger.
 Mais dans le même temps, elle est définitivement reléguée par sa hiérarchie dans un bureau « placard », à l'hôpital Trousseau.

Émilie Hardouin raconte un étage vide, un manque d’équipements importants comme une imprimante, des problèmes de connexion. Une situation qu’elle vit comme une “placardisation” et qui témoigne à minima d’une ambiance de travail conflictuelle, voire d’une tentative de la pousser vers la sortie.

Dans ce contexte toujours plus pénible, l’isolement géographique et le comportement de son chef de pôle commencent à l'atteindre physiquement. Le 5 octobre 2015, après des insomnies, elle fait un malaise vagal dans ce bureau isolé. Guy Leverger est mis au courant, mais il ne signale pas le malaise à la médecine du travail. Pour Emilie et son avocat de l’époque, c’est une première “dissimulation d’éléments”. Épuisée, elle prend des congés suivis d’un arrêt maladie jusque début novembre. « Je n’arrivais plus à récupérer », raconte-t-elle. 

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