Bolloré perd une bataille portuaire au Cameroun

Vincent Bolloré
Vincent Bolloré devant le port de Douala (Cameroun)  | photomontage d’illustration (Off-investigation)

La Cour d’appel de Paris a annulé le 3 décembre deux condamnations visant le Port autonome de Douala (capitale économique du Cameroun), dans une affaire qui l’oppose à une ancienne filiale du groupe Bolloré. En cause : la détection d’irrégularités dans la composition du tribunal arbitral qui avait donné raison au milliardaire breton.

« Bonne nouvelle ! », s’exclame la presse camerounaise. A travers deux arrêts importants rendus le 3 décembre, la Cour d’appel de Paris a annulé deux précédentes sentences visant le Port autonome de Douala. Elles avaient été prononcées par la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce de Paris dans le cadre d’un différend qui opposait le port camerounais à Douala International Terminal (DIT), ex-filiale du groupe Bolloré.

En cause : la décision du port de Douala, en 2019, de ne pas renouveler une concession précédemment accordée au groupe du célèbre milliardaire breton, lui préférant l’opérateur Terminal Investment Limited, propriété de l’armateur italo-suisse MSC, dont nous avons déjà exploré les liens étroits avec le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler.

Face à ce choix de fermer le port de Douala à la filliale du groupe Bolloré, son directeur général, Cyrille Bolloré, s’était empressé d’écrire personnellement, au président du Cameroun pour pouvoir continuer ses activités portuaires. Il proposait notamment de « solder amiablement tous les différends opposants le PAD et DIT et enfin de relancer sereinement un appel d’offres de la concession, sur des bases équitables » et mettait en avant des « souvenirs très amicaux de Vincent Bolloré », comme le relayait Le Monde en juin 2024.

La démarche n’ayant pas abouti, le groupe Bolloré avait porté l’affaire devant la justice. En première instance, des sentences rendues le 9 novembre 2021 et le 15 avril 2022 par la chambre de Commerce de Paris avaient condamné le Port Autonome de Douala à verser à la DIT une indemnisation de plus de 37,23 milliards de francs CFA (soit environ 50 millions d’euros), en raison de « contestations liées, entre autres, aux conditions de transfert des salariés, à la reprise du matériel nécessaire à la poursuite des activités du terminal à conteneurs, au rachat des stocks, à la gestion des engagements juridiques du concessionnaire, ainsi qu’aux modalités de passation du site à la fin de la concession » (Actu Cameroun).

Un tribunal arbitral connivent avec le groupe Bolloré ?

La Cour d’Appel de Paris a finalement justifié le 3 décembre l’annulation de ces condamnations en relevant des irrégularités dans la composition du tribunal arbitral en charge de l’affaire, ainsi que l’absence de garanties d’impartialité et d’indépendance.

« Il y a lieu de constater l’acquiescement et de prononcer l’annulation de la sentence finale, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens. », précise l’un des deux arrêts en question. « En l’espèce, l’acquiescement par DIT au grief tiré de l’irrégularité de la constitution du tribunal, quand bien même il emporte l’annulation de la sentence sans débat, a pour effet de faire droit à la demande formée par le PAD [Port autonome de Douala] qui obtient gain de cause », peut-on lire dans l’autre.

Le 19 juin 2024, la Cour de cassation de Paris avait déjà rejeté la décision de la Chambre de commerce de Paris, au motif que le tribunal arbitral était composé de manière irrégulière, et qu’il existait des « connivences » entre l’un de ses juges et l’un des avocats du groupe Bolloré (Le Monde, juin 2024).

Cette décision de la Cour d’appel de Paris survient dans un contexte particulièrement décisif pour le Cameroun. En pleine restructuration à la suite d’une rénovation menée de fond en comble, le port de la capitale économique du pays a donné un coup de fouet à l’économie nationale. Le port est même depuis cette année certifié par les États-Unis, ce qui permet par exemple aux navires américains d’y accoster. A terme, le Cameroun vise la nationalisation de toutes les activités du port.

Vincent Bolloré, lui, n’est pas au bout de ses peines. Au Cameroun, l’homme d’affaires breton est sous le coup d’une enquête pour corruption après une plainte déposée par l’ancien directeur général adjoint du port de Kribi, plus au sud du pays. Outre les faits de corruption, Bolloré est également poursuivi par 145 Camerounais qui lui reprochent sa gestion de l’exploitation de l’huile de palme sur leur sol. Les plaignants dénoncent depuis une dizaine d’années la façon dont la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm) gère ses exploitations de palmiers dans le pays et cherchent à prouver que la Socapalm est en réalité une filiale directe du groupe de Vincent Bolloré. « Notre eau est polluée, les routes ne sont pas entretenues, on ne compte pas les enfants employés par cette société, et les tombes de nos ancêtres sont ensevelies dans les plantations. Voilà pourquoi on lutte »expliquait en 2022 à Mediapart Emmanuel Elong, porte-parole de l’association locale des planteurs.

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