La psychiatrie à l’abandon
Au secours ! Macron veut privatiser la folie

Maïlys Khider

Depuis quelques mois, des hopitaux publics expérimentent le "passeport bipolaire", une application privée de contrôle des personnes "dépressives" ou "bipolaires" (photo DR)

Conçu par des startupeurs et co-financé par des groupes privés, un « passeport bipolaire » est expérimenté dans des hôpitaux publics. Il a été imposé par une galaxie d’acteurs, groupes de cliniques privés, laboratoires pharmaceutiques (et médecins qui touchent de l’argent de leur part) qui tentent de s'imposer dans le traitement des maladies mentales, avec la bénédiction du gouvernement.

Le 28 février 2023, Emmanuel Macron discourt sur la santé mentale devant des élèves du collège Jean Lartaut à Jarnac (Charente). Pour le président de la République, elle a « longtemps été abandonnée », mais c’est « un sujet que nous avons pris en charge depuis plusieurs années »

En 2021, aux Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, il exposait un ensemble d’idées visant à soulager la crise que celle-ci traverse depuis plusieurs années (sous-effectifs dans les hôpitaux psychiatriques, tendance à favoriser les « camisoles chimiques » au détriment de l’accompagnement humain des patients, maltraitance institutionnelle, ...). En pratique, il s'agissait surtout de réduire les coûts.

Des normes numériques privées dans la santé mentale

Parmi les pistes évoquées par Emmanuel Macron, une mesure passée inaperçue à l’époque : « Développer l’usage du numérique en santé mentale ». Estimant qu'en la matière, « la France se caractérise par un investissement insuffisant », le président préconisait de miser sur « l’appropriation de ces outils par l’ensemble des acteurs (patients et familles, professionnels, acteurs économiques) ainsi que sur l’accompagnement de l’État pour ces transformations ». 

Dans cette marche, les outils technologiques prolifèrent. Emblématique de cette incursion du numérique en psychiatrie, le passeport bipolaire (passeport BP). Destinée aux personnes bipolaires et dépressives, cette nouvelle application est censée permettre un « monitoring », avec un tableau de bord évolutif de l’état du patient. Après inscription, consultation pré-parcours et établissement d’un plan personnalisé de soins, la personne dépressive ou bipolaire pourrait entrer des données sur son niveau d’agitation, d’inhibition, ou autres. Elle pourrait aussi poser des questions sur sa santé via un chat censé permettre un " suivi à distance ".

Les pouvoirs publics vantent la « garantie d’un suivi régulier des patients »

Le projet naît en 2019, après autorisation de la direction générale de l’offre de soins (DGOS). Il est initié dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018, qui a pour but de « promouvoir des organisations innovantes », tout en permettant aux porteurs de déroger à certaines règles de droit commun. 

Selon la DGOS, le passeport bipolaire est censé permettre « la mise en œuvre d’une prise en charge intégrée (psychiatrique et somatique), personnalisée, spécialisée et coordonnée » et il vise à « garantir le suivi régulier des patients pour éviter des ruptures de traitement pouvant occasionner une aggravation de l’état de santé ». Le tout avec un financement de la Caisse nationale d’assurance maladie via le fonds pour l’innovation du système de santé.

En expérimentation jusqu’en 2024, le passeport bipolaire s’est notamment invité dans des hôpitaux publics de Clermont-Ferrand, de Besançon, de Moulins-Yzeure et à l’hôpital Henri Mondor de Créteil (géré par l’Assistance publique hôpitaux de Paris, l’AP-HP). Il est également expérimenté à l’hôpital spécialisé en psychiatrie Le Vinatier à Bron. 

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