
Jugée « écocide » par ses opposants, l’autoroute A69, qui va privatiser l’axe Castre-Toulouse, a été défendue bec et ongles par les Macronistes depuis 2017. Deux des actionnaires du projet ont directement ou indirectement contribué à financer la carrière politique d’Emmanuel Macron et son accession à l’Élysée.
Si elle est construite, l’autoroute A69, 53 km de bitume entre Toulouse et Castres, sera l’une des plus chères de France (17 euros l’aller-retour pour les voitures, 40 pour les camions). C’est aussi l’une dont le financement est le plus opaque. Quelle sera sa rentabilité, alors que les prévisions de trafic (6 000 voitures/jour) sont trois fois moins importantes que celles de la moyenne des autoroutes françaises ? Comment expliquer qu’alors que de nombreuses autorités environnementales ont estimé que ce projet des années 1990 n’était plus adapté à un monde en plein réchauffement climatique, les macronistes l’aient imposé de force en 2018 on le déclarant « d’utilité publique », puis en 2023 pour une prétendue « Raison impérative d’intérêt public majeur » ? Qu’ils aient accordé à Atosca, le consortium qui va construire et exploiter l’autoroute, une concession de plus d’un demi-siècle (55 ans) ? Qu’ils continuent à entretenir l’opacité sur les annexes financières du contrat de consession ?

Interviewée par OFF investigation, Karen Erodi, députée (LFI) du Tarn, s’inquiète à l’idée que toutes ces facilités accordées au privé soient, au final, payées par les citoyens : « Quand les autoroutes sont déficitaires, c’est l’argent public du contribuable qui paye le manque à gagner. Est-ce que c’est un cadeau fait aux concessionnaires privés de l’A69 ? Tout est possible. On peut se poser toutes les questions tant qu’on n’a pas de réponse claire du gouvernement ».
Le 2 mai dernier, à l’Assemblée nationale, elle interpellait le Ministre des Transports (Clément Beaune) : « Vous refusez encore de rendre public le contrat de concession. Qui va payer ? Où est l’intérêt général ? 17 € aller-retour, ce sera l’autoroute des riches. »
« Secret des affaires »
À l’issue de plusieurs relances auprès du Ministre des Transports, Karen Erodi est enfin invitée, le 24 mai dernier, à pénétrer dans les entrailles du ministère pour consulter le fameux contrat de concession, signé entre l’État et Atosca le 22 avril 2022. Qu’elle ne fut pas sa surprise de constater que les annexes qui chiffrent le plan de financement et le tarif au kilomètre de ce projet classé « priorité nationale » en 2019, ont été soigneusement masquées ! « Quand j’ai demandé au ministère des Transports pourquoi les annexes étaient grisées, on m’a répondu : c’est le secret des affaires », confie-t-elle à Off Investigation.
Pour rappel, « le secret des affaires » découle d’une loi du 30 juillet 2018. Votée sous le premier quinquennat Macron, elle transposait en droit français ce nouveau principe imposé à Bruxelles par de grands lobbies industriels. Objectif : soustraire à la sagacité des citoyens et des journalistes des informations économiques importantes.
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Au vu de l’opacité qui entoure le financement de l’A69, le fait que le gouvernement la subventionne à hauteur de 23 millions d’euros et s’abrite derrière la loi « secret des affaires » pour masquer les chiffres clés interroge. Y a-t-il un risque de « détournement de fonds public » qui profiterait au concessionnaire privé de l’autoroute ou à ses actionnaires ?
Pour y voir plus clair, nous avons enquêté sur les actionnaires du projet. Enregistré le 27 octobre 2021 et domicilié à saint Etienne-du-Grès, le concessionnaire Atosca est une Société par Actions Simplifiées, au capital de 10 000 euros. Il est détenu par un pacte de quatre actionnaires : les fonds d’investissement Quaero capital (30%) et TIIC (30%), le fonds d’Edmond de Rotschild spécialisé dans les transports. Ils se sont associés à deux partenaires industriels : NGE Concessions (25%), 4ème groupe français de BTP et Ascendi (15%). Cette dernière société, spécialisée dans les péages, est une filiale à 100 % du fonds d’investissement Ardian, qui détient par ailleurs en direct 50 % d’Atosca exploitation, la branche qui gérera l’autoroute pour une durée de… 55 ans.
Extrait de « Autoroute A69 : l’affaire personnelle de Macron ? » (Clarisse Feletin, EP 01 de la saison 2 de notre série « Emmanuel, un homme d’affaires à l’Élysée »)
Deux actionnaires liés à Emmanuel Macron
Particularité de TIIC (Fonds Edmond de Rothschild) et Ardian : ils sont très proches de la Macronie. Issu de la même famille que David de Rothschild, dont la banque d’affaires avait fait la fortune d’Emmanuel Macron en lui permettant de gagner plus de trois millions d’euros entre 2008 et 2012, le fonds Edmond de Rothschild investit régulièrement dans des infrastructures de transport partout en Europe.
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Quant à ARDIAN, le plus gros fonds d’investissement français avec plus de 150 milliards d’euros d’actifs, il est encore plus lié à Emmanuel Macron. Classée 50ᵉ femme la plus influente du monde selon le magazine Forbes, sa fondatrice et présidente, Dominique Sénéquier, est une figure de la finance européenne. Elle a surtout un accès direct au président français.
En novembre 2020, lors du sommet annuel de la coalition « One Planet des Fonds Souverains » (forum réunissant de grands investisseurs institutionnels pour « favoriser la transition écologique de l’économie »), elle était reçue en grandes pompes à l’Élysée.
Plus récemment, en janvier 2023, Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, s’est déplacé avec Dominique Sénéquier aux Emirats arabes unis, pour l’ouverture de bureaux Ardian à Abou Dhabi.

Deuxième figure d’Ardian très proche d’Emmanuel Macron : le « managing director » Emmanuel Miquel. En 2017, il faisait partie des responsables financiers de sa campagne présidentielle. Emmanuel Macron élu à l’Élysée, Emmanuel Miquel devient son conseiller “entreprise, attractivité et export” pendant deux ans. En 2019, il revient « pantoufler » chez Ardian. En parallèle, en 2022, il s’implique à nouveau dans la campagne d’Emmanuel Macron, cette fois-ci comme « relais de la société civile chargé des sujets entreprise et attractivité ».

Un troisième cadre d’Ardian, le franco-algérien François-Aïssa Touazi, responsable du bureau Ardian d’Abou Dabi, a également aidé Emmanuel Macron à financer sa carrière politique. En février 2017, alors que le candidat d’En Marche n’avait plus un sou en caisse, il l’avait aidé à organiser un voyage en Algérie, voyage au cours duquel Emmanuel Macron avait levé des fonds auprès de milieux d’affaire algériens.
Dans « Le grand manipulateur » (Stock, 2019), Marc Endeweld rapporte les propos d’un acteur de cette collecte de fonds : « François Touazi a eu un rôle important pendant la campagne », avant d’ajouter : « Touazi tisse au fil des années un réseau d’influence aussi bien à Paris qu’à Alger. »

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Quand une filiale d’Ardian débloquait 11 millions d’euros de prêts pour la présidentielle
Et ce n’est pas tout. Ces dernières années, une quatrième figure du groupe Ardian a joué un rôle encore plus déterminant dans le financement de la carrière politique d’Emmanuel Macron : le courtier en assurance Pierre Donnersberg. Le 21 juin 2016, depuis Bercy, Emmanuel Macron lui avait remis la Légion d’honneur.

En 2017, il va apporter au candidat d’En Marche une aide déterminante pour accéder à l’Élysée. À quelques mois de la présidentielle, alors que les caisses d’En Marche sont vides, Emmanuel Miquel suggère à Emmanuel Macron d’emprunter 11 millions d’euros pour boucler sa campagne. Problème: les banques sont réticentes car l’ancien ministre de l’économie de François Hollande n’a ni trésor de guerre, ni parti politique.
C’est dans ce contexte que selon le journaliste Marc Endeweld, Pierre Donnersberg avait mis sa société de courtage Siaci St Honoré (alors détenue par Ardian à 51 % et par le fonds TIIC d’Edmond de Rothschild à 19 %) au service du candidat d’En Marche pour l’aider à débloquer les 11 millions d’euros de prêts pour sa campagne présidentielle ! Déterminant, ce « coup de main » de Pierre Donnersberg avait permis à Emmanuel Macron de boucler le financement de sa campagne, et donc d’accéder à l’Élysée.
Marc Endeweld, le journaliste qui avait révélé cette information dans son ouvrage « le grand manipulateur » (Stock, 2019), décrypte : « Macron a eu beaucoup de mal à être assuré. Et ce que j’ai découvert, c’est que 11 millions d’euros de prêts décrochés pour sa campagne 2017 (8 millions avant le premier tour, 3 millions environ entre les deux tours) ont été débloqués par deux banques françaises. Ils ont été débloqués par un courtier en assurances qui s’appelle Pierre Donnersberg. C’est un courtier tout à fait important et respectable de la place de Paris. Emmanuel Macron avait des problèmes d’assurance personnelle. »
Passe-droit
En mars 2023, pour lancer le chantier de l’A69, les deux préfets du Tarn et de la Haute-Garonne, signaient une autorisation environnementale s’appuyant sur une prétendue « raison impérative d’intérêt public majeur ». Un processus dérogatoire au droit commun permettant d’imposer la construction de l’autoroute au mépris du Code de l’environnement et de la protection de la nature. Pourquoi un tel passe-droit ?
En octobre, devant des élus et chefs d’entreprises réunis à la chambre de commerce et d’industrie du Tarn, le député Renaissance Jean Terlier se félicitait d’avoir reçu l’assurance de Matignon et de l’Élysée que le projet d’A69 ne serait pas arrêté. Selon une source interrogée par Off Investigation souhaitant conserver l’anonymat, les mêmes garanties auraient été apportées par l’Élysée au PDG du groupe Pierre Fabre, un laboratoire implanté dans la région qui réclamme depuis des années l’A69.
Au vu des nombreux soutiens du Président qui occupent des postes stratégiques au sein des actionnaires clé de l’A69, on comprend mieux pourquoi Emmanuel Macron défend mordicus ce projet autoroutier pourtant à rebours des engagements français contre le réchauffement climatique. Un projet imaginé dans les années 1990 et critiqué par toutes les autorités indépendantes consultées, de l’Autorité Environnementale au Conseil National de Protection de la Nature.
Grève de la soif

Ces dernières semaines, les quinze grévistes de la faim opposés à l’A69 qui demandaient un moratoire des travaux n’ont jamais provoqué la moindre réaction de l’Élysée. Le 9 octobre dernier, après 40 jours de grève de la faim, Thomas Brail , le fondateur du Groupe National de Surveillance des Arbres (GNSA), entamait avec deux autres écureuils une grève de la soif. Ce jour là, en titubant d’épuisement, ils s’étaient rendus à l’Élysée pour remettre une lettre à l’adresse d’Emmanuel Macron. Ils y demandaient un référendum local, façon de recueillir le sentiment des habitants des deux départements les plus concernés (la Haute Garonne et le Tarn). La nuit suivante, vers 4h du matin, Thomas Brail était victime d’un malaise. Il était conduit à l’hopital. Toujours sans susciter la moindre réaction d’Emmanuel Macron.
Depuis, Atosca, le concessionnaire de l’A69, met les bouchées doubles pour accélérer les travaux. Comme s’il cherchait à prendre de vitesse les opposants au projet, qui manifesteront sur le tracé de l’A69 les 21 et 22 octobre à l’appel des Soulèvements de la terre, du collectif La voie est libre, et de plusieurs autres organisations. Contactés, ni Atosca, ni Ardian, ni Emmanuel Macron n’ont souhaité répondre aux questions de Off Investigation.
« Autoroute A69 : l’affaire personnelle de Macron ? » (Clarisse Feletin), EP 01 de la saison 2 de notre série « Emmanuel, un homme d’affaires à l’Élysée »