Auto-Entrepreneurs
Comment Sarkozy et Macron ont précarisé deux millions de jeunes (1-2)

Orian Lempereur-Castelli

L'ancien président Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron se serrent chaleureusement la main lors du 74ème anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, à l'Arc de triomphe, à Paris, le 8 mai 2019 (Photo Christian HARTMANN / POOL / AFP)

Mis au point par Hervé Novelli sous Nicolas Sarkozy, étendu sous Emmanuel Macron, le statut d’auto-entrepreneur a précarisé, de gré ou de force, près de 2 millions de jeunes en France. Histoire secrète d’un gigantesque contournement du droit du travail.

Mai 2007. Fraîchement élu président de la République, Nicolas Sarkozy veut libéraliser l’économie française. Il sollicite son secrétaire d’Etat chargé des Entreprises et du Commerce extérieur, Hervé Novelli. Ancien du Groupe Union Défense (GUD) et du Front National, Novelli est proche du libéral Alain Madelin, un ancien ministre de Jacques Chirac lui aussi issu des rangs de l’extrême droite. Nicolas Sarkozy missionne Novelli pour simplifier l’entreprenariat individuel. L’idée d’un nouveau statut, c’est celle de Novelli – mais ça, le secrétaire d’Etat le garde pour lui : « je voulais que ma réforme repose “sur un consensus supposé ou réel” », confie-t-il, 15 ans après, à Off Investigation.
Dès septembre 2007, « l’homme des PME », comme il aime se définir, lance plusieurs groupes de travail. Sans surprise, ils recommandent tous la création d’un nouvel outil. Parmi les experts mandatés par le secrétaire d’Etat, François Hurel. « Sachant de la création d’entreprise » passé par le forum de l'entrepreneuriat de l’OCDE et l’Agence Pour la Création d’Entreprise, c’est un ancien des cabinets ministériels d’Alain Madelin et de Jean-Pierre Raffarin.
Pour imaginer le statut, Hurel s’inspire des dispositifs juridiques existant aux Etats-Unis, au Québec, en Australie, en Argentine ou au Japon. Il utilise aussi des dispositifs européens qui permettent de prélever les impôts à la source et d’exonérer de TVA certains chiffres d’affaires.

Un statut en quelques minutes sur internet

Alors que jusqu’en 2008, créer une société prenait plusieurs semaines, avec une vingtaine de formes juridiques possibles, le statut d’auto-entrepreneur (aussi appelé micro-entrepreneur) s’acquiert désormais en... quelques minutes sur le site internet de l’URSAFF ! Réservé aux entrepreneurs réalisant moins de 32 600 euros de chiffre d’affaires, il permet d’être exonéré de TVA et de solder ses cotisations sociales par une unique cotisation proportionnelle à son chiffre d’affaires. Le régime permet aussi de ne pas présenter de bilans annuels, ouvre droit à une réduction des cotisations sociales les premières années et est exonéré de certaines cotisations salariales. Bref, un "choc de simplification" avant l'heure. Mais, en contrepartie, en cas de coup dur, les auto-entrepreneurs ne sont pas protégés : ni congés payés, ni congés maladies, ni droits au chômage.

Hervé Novelli lors du 17ème salon des entrepreneurs, Paris, 2010 (photo DR)

Accord secret avec les artisans en colère

Lors des premiers groupes de travail, les représentants des artisans voient dans le statut d'auto-entrepreneur une concurrence déloyale. Eux doivent en effet justifier de diplômes spécifiques pour exercer certaines activités, facturer la TVA mais aussi payer des cotisations patronales. 
Pour calmer les esprits, Hervé Novelli passe un « deal » secret avec Alain Griset, alors président de l’Assemblée permanente des chambres de métier et de l’artisanat : « On avait un accord (...) j’avais dit “ne développe pas cette agressivité” parce que (...) je suis prêt à satisfaire une revendication clé des artisans depuis vingt ans : la protection de leur patrimoine en cas de faillite » nous a révélé Hervé Novelli.
En 2010, il tient parole avec la création du statut d’EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée) qui permet aux artisans de protéger leur patrimoine. De nature à les apaiser, la réforme n’éteint pas pour autant leur colère contre les auto-entrepreneurs. Mais Griset ne risque plus de les défendre: en 2020, il se retrouve à la place d’Hervé Novelli… en charge des auto-entrepreneurs dans le gouvernement Castex ! (Il sera contraint de le quitter en décembre 2021 suite à une condamnation pour « déclaration incomplète ou mensongère de sa situation patrimoniale »). 

Vous devez être abonné.e pour voir ce contenu

Déjà abonné.e ?