Affaire du fond Marianne
Quand Mohamed Sifaoui « comprenait » les terroristes algériens

Le polémiste algérien islamophobe Mohamed Sifaoui n'a pas toujours diabolisé les islamistes (Photo AFP)

Exclusif : Épinglé dans l'affaire du fonds Marianne pour avoir perçu des subventions publiques sans mener d'actions très efficaces, le polémiste algérien islamophobe Mohamed Sifaoui, dont on a découvert qu'il était par ailleurs rémunéré par le ministère de l'intérieur, n'a pas toujours dénoncé "l'islamisme". Au début de sa "carrière", il affirmait même comprendre ses compatriotes ayant pris les armes contre une armée algérienne coupable de "génocide" et de "massacres". Révélations.

Depuis son arrivée en France, à la fin de ce qu’on a appelé la « sale guerre » (un conflit fratricide ayant déchiré l’Algérie entre 1992 et 2000), le polémiste algérien Mohamed Sifaoui a fait couler beaucoup d’encre par une croisade médiatique de vingt ans contre ce qu’il appelle l’« islamisme » et une partie de la gauche française, accusée d'"islamo-gauchisme", voire de complicité avec le « terrorisme musulman ».

Mais au début des années 2000, celui qui se présentait alors comme un « journaliste opposant » tenait en privé un tout autre discours sur la vraie nature du régime militaire qui contrôlait son pays. Il expliquait même « comprendre » l’islamisme et encourageait des dissidents à dénoncer les crimes des généraux. Révélations exclusives.

Des cadavres attachés sur des capots

En ce jour d’avril 2000, c’est un témoin clé que je m’apprête à recevoir dans la salle de projection de l’agence CAPA, rue de la Croix-Nivert, à Paris. Au téléphone, le lieutenant Habib Souaïdia a amorcé un incroyable témoignage. Engagé dans la répression des civils et des insurgés dès 1994, soit deux ans après le coup d’État militaire organisé en janvier 1992 pour interrompre un processus électoral remporté par les islamistes, il a assisté à des opérations atroces, qui hantent chacune de ses nuits. Cadavres attachés sur les capots des véhicules militaires pour terroriser la population, exécution de prisonniers torturés, traques dans les maquis, ... À 31 ans, Habib a déjà le regard triste d’un jeune algérien engagé malgré lui dans l’une des pires répressions de civils du siècle.

Quelques semaines auparavant, il a fui vers la France. À Reporters sans frontières, il a été abordé par Mohamed Sifaoui, un compatriote se présentant comme un « journaliste persécuté ». Au téléphone, bien que sa famille soit en danger en Algérie, Souaïdia m’a courageusement donné son accord pour une interview filmée pour le « Vrai Journal », une émission présentée par Karl Zéro et diffusée en clair tous les dimanches sur Canal +. Il m’a prévenu qu’il viendrait avec un compatriote, le fameux Mohamed Sifaoui.

Traquer les islamistes

Quand l’interview filmée commence, je suis impressionné, mais pas déçu. Habib décline tristement son identité, me montre ses papiers militaires, précise les régiments dans lesquels il a combattu, les lieux qu’il a arpenté, l’arme à la main, pour traquer des islamistes ou de simples civils soupçonnés de sympathie pour les insurgés. Son récit est atroce, dépeignant une Algérie qui semble avoir sombré dans l’horreur, une sorte de jungle ou on tue, viole et pille en toute impunité. Homme droit, Souaïdia est manifestement parvenu à conserver quelques repères dans cet enfer. Mais il apparait très marqué par les horreurs dont il a été témoin.

Le lieutenant Habib Souaïdia lors du procès que lui a intenté le général Khaled Nezzar, à Paris, en 2002 (photo DR)

Au bout d’une heure d’interview, alors que je sors de la pièce quelques instants pour une pause, Mohamed Sifaoui se lâche auprès de Souaïdia sur ce qu'il pense de la violence du régime algérien et sur les causes sociologiques profondes de la montée de l’islamisme au Maghreb.

"Coaching" en coulisses

Dans un contexte ou l’affaire du fonds Marianne a montré qu’après vingt ans de croisades islamophobes, Mohamed Sifaoui avait été rémunéré par les macronistes pour jeter de l’huile sur le feu qui couve entre Français « de souche » et Français d’origine immigrée, voire pour fragiliser des personnalités gênant l’exécutif, les propos qu’il avait tenu en 2000 à l’agence CAPA devant son compatriote Habib Souaïdia prennent un relief particulier.

Certes, ces propos n’avaient rien changé au témoignage du jeune lieutenant, qui sera publié en toute indépendance un an plus tard par La Découverte sous le titre La Sale Guerre, après que Souaïdia a rapidement rompu toute relation avec Sifaoui : Souaïdia avait acquis la conviction que son compatriote voulait le manipuler pour le compte des services algériens, afin de déconsidérer son témoignage d'une sincérité au-dessus de tout soupçon.

Ces propos de Sifaoui n’en restent pas moins significatifs du fait qu’à l’époque, ce dernier disait à des fins intéressées la vérité sur le régime d’Alger. Vérité qu'il ne cessera ensuite pendant plus de vingt ans de dénoncer comme... un mensonge, attestant ainsi de l'opportunisme médiatique du personnage. Florilège.

« Après le témoignage, ils vont dire que tu es un terroriste, un islamiste, commence Sifaoui. Dis leur : « Je ne suis pas un terroriste, un islamiste, je suis quelqu’un qui a lutté contre le terrorisme et je reste persuadé que j’ai eu raison si la lutte était légale. Pour moi, il fallait protéger le pays. Mais quand j’ai vu que des innocents, des vieillards, des femmes, des civils, que des gens n’ayant rien fait se faisaient assassiner, je ne pouvais plus supporter. » Le mot en français, c’est : « Je ne voulais plus cautionner. Être complice… »
Habib Souaïdia complète spontanément : « …d’autres crimes… »

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