Adecco, un apartheid à la française ?

Numéro un du travail temporaire en France, Adecco sera jugé le 28 septembre pour avoir, dans les années 2000, fiché des intérimaires selon leur couleur de peau. Des faits vieux de 23 ans, dans lesquels sont aussi impliqués Euro Disney, les Wagons-Lits, L’Oréal, ou… le Quai d’Orsay. La justice a traîné des pieds pour juger une multinationale puissante, qui bénéficie d’appuis au plus haut niveau.

Ce matin de septembre 2000, Gérald Roffat n’ira pas au boulot. Et tant pis s’il plante son stage chez Adecco, à une semaine à peine de son terme. Il arrête tout, sans réfléchir, sur un coup de tête, et ne prend même pas la peine de prévenir l’employeur. Les RH, il ne veut plus en entendre parler. L’étudiant en ressources humaines à Paris 12 abandonne son cursus, s’engage quelques mois plus tard pour l’armée. « Je n’ai pas trop réfléchi, j’étais juste dégoûté », dit-il aujourd’hui. Quelques jours après avoir tout plaqué, il trouve néanmoins l’énergie d’écrire à SOS-Racisme : « C’était la seule association antiraciste que je connaissais, explique-t-il. Je les ai contactés sans trop savoir ce que cela donnerait, comme une bouteille à la mer. » Il est loin alors de se douter que son initiative va déclencher le plus gros scandale de fichage ethnique et de discrimination raciale que la France ait jamais connu. Et une interminable procédure judiciaire qui durera 23 ans.

La missive finira sous les yeux attentifs de Samuel Thomas, alors vice-président de l’association phare des années 1980 et 1990. Le récit de Gérald le consterne : Adecco classifie une partie de ses intérimaires selon leur couleur de peau. Et ce à grande échelle. « Je tiens à vous signaler qu’au sein de l’agence Adecco, (…) spécialisée dans la restauration et l’hôtellerie, on procède à un tri ethnique des intérimaires. En effet, les intérimaires sont classés en fonction de leur couleur de peau. Une distinction est faite entre les Noirs et les non-Noirs. » Ainsi commence le courrier dénonciateur de Gérald.

« Quand un candidat est noir, tu mets “PR4” »

Petit retour en arrière : à 25 ans, Gérald termine une licence en ressources humaines. Il est plutôt content : il a déniché un stage chez Adecco, numéro un du travail temporaire en France. À l’agence de Montparnasse, qui gère plus de 3 000 intérimaires par jour dans l’hôtellerie-restauration, il est chargé du recrutement. Une expérience et une ligne dans le CV qui lui servira de tremplin, pense-t-il, pour son entrée dans la vie professionnelle. Mais ses espoirs vont assez vite être douchés. « Je suis chargé de recevoir les candidats et de leur faire passer des tests. Un autre stagiaire plus expérimenté me dit tranquillement : “Quand tu verras un Noir, tu inscriras la mention PR4”. » Théoriquement, PR4 signifie que la personne a une mauvaise présentation, mais c’est en fait un code pour désigner les Noirs. Gérald s’étonne de cette pratique : « Je lui ai dit : “Mais ça ne te dérange pas qu’on trie selon la couleur de peau ?” Il m’a répondu, d’un air blasé : “Tu sais, c’est comme ça dans le monde de l’entreprise.” »

Vous devez être abonné.e pour voir ce contenu

Déjà abonné.e ?