En refusant de réatribuer une fréquence TNT à C8, qui a violé à de nombreuses reprises sa convention de diffusion, l’Arcom a (enfin) posé une limite aux dérives de Cyril Hanouna et de son actionnaire, le milliardaire breton d’extrême droite Vincent Bolloré. Mais le refus d’attribuer une fréquence à LeMediaTV et l’autorisation de deux nouvelles chaînes privées, dont une financée par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, risquent de « droitiser » encore la TNT.
Disons le tout net, on craignait pire : le renouvellement des fréquences de toutes les télé Bolloré. En retirant finalement son canal de diffusion à C8 après que la chaîne gratuite du groupe Canal + ait violé à de nombreuses reprises sa convention de diffusion, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique a (enfin) pris ses responsabilités. Avec ses innombrables dérapages politiques, sexistes, homophobes, … C8 avait été condamnée à payer près de 7,6 millions d’euros d’amende en quelques années. La décision de l’Arcom a bien sûr été critiquée par Gérald Brice-Viret, le directeur général de Canal + France, qui a évoqué sur X un « mépris du public » : « Première chaîne de la TNT, C8 est la seule chaîne à parler à toutes les générations partout en France », a-t-il estimé.
Mais cette victoire du droit contre les dérives éditoriales des télés Bolloré doit être relativisée. D’abord car le « combat civilisationnel » du milliardaire breton d’extrême droite pour une France blanche et chrétienne n’est pas prêt de prendre fin. CNews, la chaîne info du groupe Canal +, qui vient de dépasser l’audience de BFMTV, continue à marteler sa propagande réactionnaire, voire raciste, du matin au soir, et ce sans susciter beaucoup de réactions de la part de l’Arcom (CNews a d’ailleurs obtenu le renouvellement de sa fréquence TNT).
Par ailleurs, comme l’analysait le juriste Guillaume Champeau sur X, la fin de C8 sur la TNT n’est pas forcément synonyme de disparition de Cyril Hanouna : « Je ne crois pas à l’hypothèse qui veut que l’Arcom a renouvelé Cnews parce qu’elle a déjà sanctionné Canal en lui retirant C8. Ce sont en réalité deux services rendus à Bolloré. Cnews, c’était le trésor politique à garder. C8, c’était selon une enquête récente de La lettre un gouffre financier, qui a perdu plus de 650 millions d’euros depuis 2005. Bolloré va pouvoir tranquillement déposer le bilan de la filiale en intégrant les pertes dans le bilan du groupe, licencier tout le monde, et récupérer sur un créneau en clair de Canal+ ce qui était devenu le seul intérêt de garder la chaîne : Hanouna. Et autant l’Arcom peut menacer timidement C8 de coupure d’antenne si Hanouna dérape à répétition, autant menacer de couper Canal+… bonne chance ». Autre hypothèse : que C8 continue à exister… sur les box, ou la chaîne gratuite du groupe Canal + réalise déjà une bonne partie de son audience.
Seconde raison de rester prudents : l’Arcom ouvre la voie à deux nouveaux entrants qui s’annoncent plutôt conservateurs. D’une part, RÉELSTV, un projet de chaîne du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky et de son bras droit Denis Olivennes (société CMI France). Ces derniers jours, ils ont fait couler beaucoup d’encre en tentant de revendre l’hebdo Marianne à Pierre-Edouard Stérin, patron de Smartbox et défenseur acharné d’une droite catholique traditionaliste. Au grand dam de Stérin, l’Humanité vient même de révéler l’affaire Périclès : un plan de 150 millions d’euros en 10 ans pour favoriser secrètement l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
En tête de gondole du projet télé de Kretinsky et Olivennes : Caroline Fourest et Raphael Enthoven, deux laïcards radicaux qui ont fait de l’islamophobie leur marque de fabrique. « CMI France est déterminé à favoriser, par ses investissements dans les médias y compris audiovisuels, un débat et un esprit publics pluralistes et raisonnables, qui soutiennent la démocratie. » a indiqué dans un communiqué Daniel Kretinsky.
Autre nouvelle chaîne autorisée sur la TNT: « Of TV », du groupe Ouest France TV. A l’annonce de cette nouvelle, le directeur du pôle audiovisuel du quotidien régional breton a exprimé sa satisfaction sur X :
A lire le descriptif du projet, il s’annonce comme une sorte de France 3 régions, mais privé. Après que les macronistes aient domestiqué l’audiovisuel public, supprimé la redevance et… le journal du soir de France 3, cette attribution d’une fréquence TNT à un groupe privé pour parler des régions laisse présager une privatisation rampante de la télé régionale.
Si on ajoute à cela le refus d’accorder à LemediaTV une fréquence sur la TNT, la politique de l’Arcom s’apparente, comme le notait sur X notre confrère du Media Cemil Sanli, à attribuer (une fois de plus) les médias aux milliardaires : « Bien-sûr, ça déçoit énormément. Même si, perso, je ne suis pas tant surpris que le monde de la télé soit réfractaire à un bouleversement majeur, quand bien même il soit réclamé par le public (peut-être surtout d’ailleurs), c’est alors un fort signal d’une volonté conservatrice. Tout agiter pour finalement ne rien changer. Quand on observe le poids, le pouvoir immense qu’ont les médias télévisuels dans la construction de l’opinion publique, il apparaît évident que la situation actuelle n’est pas si mauvaise pour celles et ceux en poste dans les différents cercles politiques et économiques dominants. Et puis, n’oubliez pas que le président de l’ARCOM est directement nommé par le président de la République. Inscrire un projet tel que @LeMediaTV sur la TNT reviendrait, pour eux, à faire entrer le loup dans la bergerie bien gardée. Néanmoins, ce projet existe et grandit. Continuez à booster les médias et journalistes indépendants, en les regardant, en les partageant, en les finançant ! On continue ».