« Sex connection, de l’empire TF1 au système Canal + » (C. Feletin/E. Millies-Lacroix, Off investigation, octobre 2025)
« Sex connection : de l’empire TF1 au système Canal + » est le nouveau documentaire de Off Investigation. Disponible dès maintenant pour nos abonnés (voir ci-dessous), le 2 novembre en accès libre sur Youtube. Il montre les mécanismes de prédation sexuelle mis en œuvre dans les télés privées par le couple de producteurs Gérard Louvin et Daniel Moyne ainsi que par l’animateur Jean-Marc Morandini. Les victimes, souvent des hommes mineurs, ont été traitées comme de purs objets sexuels, selon des témoignages inédits recueillis par la réalisatrice Clarisse Feletin. Des faits de viols et d’agressions sexuelles couverts, pendant des années, par leurs employeurs.
La prédation sexuelle est un système. Elle vise précisément à maintenir le pouvoir des hommes sur leurs proies, de ceux qui commettent ces actes comme de ceux qui les protègent. Les victimes y sont, elles, réduites au silence.
La déferlante MeToo continue d’en apporter les preuves innombrables. Dans le monde des médias, les cas, très documentés, de PPDA ou de Gérard Miller sont devenus emblématiques des violences sexuelles à l’égard des femmes, parfois mineures. Le procès Mazan aura, lui, exposé au grand jour la « culture du viol » d’une société malade, questionnant de fait le traitement médiatique d’affaires trop souvent qualifiées de faits divers alors qu’elles font justement système.
« Pour lui, c’est un jeu »
Dans le nouveau documentaire de Clarisse Feletin, les témoignages sont légion pour illustrer ce phénomène visant de jeunes hommes, pas encore adultes pour certains, et participer à le briser. Celui-ci, par exemple, d’une des nombreuses victimes de Jean-Marc Morandini, 15 ans au moment de subir le harcèlement sexuel de l’animateur : « la personne est célèbre, connue, joue sur notre âge. Il joue sur nos points faibles. (…) Il avait toutes les clés en main pour m’avoir ».
« Sex connection, de l’empire TF1 au système Canal + » (C. Feletin/E. Millies-Lacroix, Off investigation, octobre 2025)
Ici, l’adolescent, qui espérait intégrer le monde des médias, devait lui envoyer des photos de nu. Pour une autre victime, c’étaient des rendez-vous dans son bureau, chaque semaine pendant cinq mois, pour une fellation. Le casting photo de départ s’est vite transformé en « initiation » sexuelle : « pour lui, c’est un jeu. Je le fais parce que j’ai l’impression que je vais peut-être avoir un travail ». Arrivé à Paris pour tenter une carrière d’acteur, il en repartira brisé, jusqu’à commettre une tentative de suicide.
« Prédateur systémique »
Protégé par Vincent Bolloré depuis 2006, date de son recrutement sur la chaîne Direct 8, Jean-Marc-Morandini a une stratégie bien rodée, révélée par les Inrocks en 2016. Dès les années 2000, il utilise par exemple le site de petites annonces Generation Gay, dans lequel il investit, pour attirer ses victimes. Il écume aussi les sites de mannequinat pour faire passer des essais dans son appartement et y tourner des scènes crues. Prétextant le tournage d’une websérie qui ne verra jamais le jour, il ira même jusqu’à se faire passer pour une productrice pour parvenir à ses fins. Exemple d’un mail adressé aux participants : « Vous voulez faire une vraie fellation à la personne qui vous donnera la réplique ? Et vous vous sentez de faire ça avec JMM ? »
Les humiliations sont le lot commun de ceux qui refusent ou hésitent, témoignage à l’appui : « il m’a dit que j’étais coincé et que j’avais un petit sexe et que pour le rôle, je n’étais pas assez développé ». Condamné en 2025 en appel à deux ans de prison avec sursis, notamment pour « corruption de mineurs », Jean-Marc Morandini aura usé d’un « comportement de prédateur systémique », selon les mots de l’avocate générale.
Des vies brisées
Le système a d’autres visages, dont celui de Gérard Louvin, influent producteur du PAF, à l’origine notamment de l’émission « Sacré soirée », qui a soutenu et introduit Morandini dans le milieu. Ils ont la perversité en commun. Devant la caméra de Off Investigation, Olivier Agredano, neveu de Louvin, décrit pour la première fois certaines des soirées d’après plateaux. Elles se seraient déroulées à compter du lancement de l’émission, en 1987, dans la maison privée de Gérard Louvin et de son compagnon Daniel Moyne, à Sèvres (92). Olivier Agredano incrimine directement Moyne qui est également producteur : « Daniel me dirigeait comme un chef d’orchestre (…). Je faisais ce qu’on me demandait de faire comme un enfant qui répond aux demandes des gens qui sont censés le protéger ». En 2021, il a été le premier à déposer plainte pour viol, accusant Daniel Moyne de les avoir commis et Gérard Louvin de les avoir favorisés, quand il avait entre 10 et 14 ans. Classée sans suite pour prescription, sa plainte a néanmoins convaincu d’autres victimes de parler.
L’immonde ne se résume pas à l’acte lui-même, froid, calculé, répété. Il s’infiltre dans les strates les plus infimes de la vie, ronge l’esprit et le corps, souvent plongés dans la dépression ou les dépendances multiples. Les mots d’Olivier Agredano le disent comme ceux d’Olivier Lusse Mourier, garçon de café à l’époque des faits, invité par Daniel Moyne à un casting photo : « c’est comme une araignée qui tend sa toile. Ce sont des gens qui savent très bien repérer la fragilité des autres ».
Médias complices
Derrière ces abus, il y a des employeurs complices organisant l’impunité. Une productrice ayant travaillé avec Jean-Marc Morandini le résume en ces termes : « ce qui est absolument démentiel c’est l’omerta qu’il y a autour de ça (…). Je pense qu’elle est corrélée au pouvoir que confère la télévision, un pouvoir d’image et un statut de vache sacrée, d’intouchable. » Le cas de Jean-Marc Morandini l’illustre parfaitement. Poursuivi, deux fois condamné, il est maintenu depuis 2016 en en vitrine de CNews, chaîne du groupe de Vincent Bolloré, où il continue, toute honte bue, de montrer son visage.
S’ils le font, c’est parce qu’ils le peuvent. Qu’il leur est permis de le faire.
