Présidentielle 2007
Quand Sarkozy préfèrait Ferrari à PPDA (10-42)

Jean-Baptiste Rivoire

Laurence Ferrari et Nicolas Sarkozy au Forum « Que veulent les femmes » du magazine Elle (groupe Lagardère) le 5 avril 2017 à Paris (Photo Dominique FAGET / AFP)

Une fois Nicolas Sarkozy parvenu à l’Elysée, en 2007, les puissants propriétaires de médias qui le soutiennent vont redoubler de complaisance. Emissions censurées, présentateurs évincés, directeurs de l’information mis sur la touche, tout est fait pour ne pas froisser le nouveau président de la République. N’hésitant pas à interférer dans les programmes de France Télévision ou sur les présentateurs de TF1, ce dernier se comporte en roi des médias, voire, selon le bon mot de Laurent Joffrin, en « monarque Républicain ».

Fin 2007, six mois après l’accession de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, la fable de la reconquête de Cécilia vole en éclats. Le nouveau président de la République accepte enfin le divorce. Mais même dans ces circonstances, les propriétaires de presse qui le soutiennent vont continuer à entretenir une chape de plomb sur les circonstances de l’explosion du couple présidentiel. Tout ce qui touche aux relations amoureuses du président est scruté et contrôlé minutieusement par ses chevaliers des médias.

« Sarkozy et les femmes » déprogrammé par D8

En janvier 2008, des journalistes de Direct 8 programment une émission intitulée « Sarkozy et les femmes ». S’agit-il là uniquement de sa vie privée ? Oui et non… Quelques semaines plus tôt, le président de la République s’est laissé longuement photographier à Disneyland par des photographes de Michèle Marchand avec sa nouvelle compagne, le mannequin Carla Bruni. Peut-être pour booster une cote de popularité chancelante ? L’opération de « com’ politique » mérite en tout cas d’être décryptée. Sur le plateau de 88 Minutes, Direct 8 invite plusieurs auteurs de livres sur Cécilia, dont Michaël Darmon, Laurent Léger, le publicitaire Jacques Séguéla ou Jean-François Probst, ancien conseiller de Jacques Chirac et figure du RPR, qui vient de publier Les Dames du président.

« Des méthodes de dictateur Africain »

Jean-François Probst, ancien conseiller de Jacques Chirac

Au dernier moment, cette émission risquant de lever un coin de voile sur certaines fragilités du nouveau président de la République est déprogrammée par la chaîne de Vincent Bolloré. Officiellement pour des raisons « techniques ». Jean-François Probst (décédé en 2014) n’y croit pas une seconde. Connu pour son franc-parler, il lâche à L’Obs: « Si c’était seulement un incident technique, Direct 8 aurait organisé l’émission la semaine suivante. Non, cela s’appelle de la censure. […] J’ai tout de même du mal à croire que Vincent Bolloré n’était pas lui-même au courant du thème de l’émission. Si l’ordre d’annuler vient de lui, c’est très grave. Ce sont là des méthodes de dictateur africain. […] Ce n’est tout de même pas possible qu’en 2008, on se fasse bâillonner par des hommes qui prétendent défendre le libéralisme ! Il ne s’agit pas seulement d’une entrave imbécile, il s’agit de la traduction d’un état mental gravement dégradé en France. […] À Sarkozy, il prête son avion et son yacht, mais à moi il ne veut pas me prêter huit minutes d’antenne pour parler de mon livre ? », s’étrangle l’ancien conseiller de Jacques Chirac.

Un Thème trop sensible pour le locataire de l’Elysée ?

Et de fait, « Sarkozy et les femmes », qui aurait certainement fait un carton d’audience, ne sera jamais re-programmée. Le thème était-il trop sensible pour le locataire de l’Élysée ? On peut le soupçonner, tant Sarkozy tente de museler tout ce qui a trait à sa rupture avec Cécilia.
En février 2008, quand L’Obs annonce dans une brève que, quelques jours avant d’épouser Carla Bruni, le chef de l’État aurait envoyé à son ex ce texto : « Si tu reviens, j’annule tout », le président exige des excuses de l’hebdomadaire. Quant à David Martinon, le porte-parole de l’Élysée réputé proche de Cécilia qui fut soupçonné d’être à l’origine de la fuite, il perd son poste au château et tout espoir de succéder à Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly.
Tout au long de son quinquennat, cette allergie du locataire de l’Élysée à certaines informations ne va épargner aucun média, aussi puissant soit-il. À peine arrivé à l’Élysée, il va même s’attaquer à Arlette Chabot, directrice de l’information de France Télévisions, et Patrick Poivre d’Arvor, l’inamovible patron du « 20 heures » de TF1.

Virer PPDA, ou la vengeance du « petit garçon »

Après un sommet du G8 début juin en Allemagne où le président s’était montré tout fier de côtoyer ses homologues étrangers, PPDA l’interroge depuis l’Élysée : « On vous a vu très à votre aise avec les différents chefs d’État et de gouvernement, presque même un peu excité, un peu comme un petit garçon en train de rentrer dans la cour des grands, est-ce l’impression que vous avez eue ?
– C’est très aimable de présenter les choses comme cela », rétorque Sarkozy, blême, estomaqué d’être comparé à un « petit garçon ».
Le lendemain, Nonce Paolini, nouveau directeur général de TF1, dit sobrement à PPDA : « Tu n’es pas près de remettre les pieds à l’Élysée. »
En janvier 2008, Nicolas Sarkozy annonce son intention de ne plus s’appuyer sur le tandem Chabot-PPDA pour l’interviewer. Quelques mois plus tard, Nonce Paolini aurait demandé à Patrick Buisson, alors conseiller de Nicolas Sarkozy, d’informer ce dernier que PPDA allait être remplacé par Laurence Ferrari et que Robert Namias, le très chiraquien directeur de l’info de TF1, laisserait sa place à Jean-Claude Dassier, plus sarko-compatible (son fils Arnaud a dirigé la campagne Internet de Nicolas Sarkozy en 2007. Il est aujourd’hui l’un des dirigeants de l’agence de renseignement privé Avisa, connue pour faire publier des articles relayant des « fake news »).
Début juillet 2008, après avoir orgueilleusement annoncé dans la presse qu’il était « le seul à connaître la date de son départ du 20 heures », PPDA apprend qu’il est remercié. Pas si intouchable qu’il ne le croyait… Son JT, bien qu’en baisse, était pourtant toujours le plus regardé de France (près de 35 % de parts d’audience). En 2016, invité chez C à vous (France 5), PPDA réglera ses comptes avec son ancien PDG, Nonce Paolini : « Il m’avait enterré alors que les audiences étaient exceptionnelles. […] Et surtout, le faire sur ordre, parce que quelqu’un au-dessus de vous l’a demandé, je trouve ça insupportable.
– Qui ? Nicolas Sarkozy ?
– C’est politique, tout le monde le sait. J’en ai eu maints témoignages depuis, par des gens qui étaient au pouvoir à l’époque ou à TF1. Tout le monde me l’a dit, des administrateurs de TF1 comme François Pinault. »

Laurence Ferrari et le « poison » de la rumeur

Politique, le remplacement de PPDA ? « Je ne comprends pas que TF1 n’ait toujours pas pris Ferrari au 20 heures », aurait lâché le président de la République devant témoins quelques mois avant l’éviction du célèbre présentateur. « Nicolas Sarkozy avait imposé Laurence Ferrari à Martin Bouygues », confirmera, péremptoire, le journaliste Renaud Revel en 2013 dans On est pas couché (France 2). À l’origine de cette hypothèse, une liaison supposée entre la journaliste de TF1 et le locataire de l’Élysée. Évoquée par la presse britannique fin novembre 2007, la rumeur bruisse bientôt sur la Toile : Nicolas Sarkozy aurait emmené Laurence Ferrari à bord de son Falcon présidentiel pour une escapade dans un riad de Marrakech. Et la présentatrice de Dimanche plus, sur Canal Plus, est pistée par un paparazzi : durant quelques semaines, il la photographie se rendant à l’Élysée, parfois derrière les vitres fumées d’un véhicule officiel venu la récupérer en face de RTL, rue Bayard. De nature à entamer sa crédibilité journalistique, l’épisode déstabilise ses équipes : « Notre rédacteur en chef lui a demandé si c’était vrai, elle a nié », nous a confié un confrère qui œuvrait alors à CAPA pour Dimanche plus.Mêmes doutes à Storybox, la société de production de Laurence Ferrari. Début novembre, alors qu’un de ses reporters couvre un voyage officiel de Nicolas Sarkozy aux États-Unis, la rumeur d’une liaison entre le président et la célèbre présentatrice est sur toutes les lèvres de la délégation : « Un soir, alors qu’il n’y avait que trois places à la Maison-Blanche pour des caméras françaises, le staff de l’Élysée m’en a réservé une. Du coup, je me suis dit que la rumeur était fondée », se souvient l’envoyé spécial de Dimanche plus. Quelques jours plus tard, dans son bureau de Storybox à Boulogne-Billancourt, Ferrari fait un demi-aveu à un collègue en qui elle a toute confiance : « Elle m’a dit qu’au plan professionnel, elle était irréprochable, et que le reste la concernait », nous révélera-t-il.

« D’autres, qui l’ont fréquenté deux mois, ont hérité d’un JT »

Anne Fulda à propos de la relation entre Laurence Ferrari et Nicolas Sarkozy

Pour protéger sa vie privée, Ferrari attaque. En décembre, suite à un papier de Closer évoquant les retentissements de sa liaison supposée avec le président dans la presse étrangère, elle assigne l’hebdo en référé, réclamant 30 000 euros de dommages et intérêts. Elle en obtiendra 12 000. Mais en 2013, sa consœur Anne Fulda (elle-même en couple avec Sarkozy en 2005-2006) relance la rumeur d’une nomination politique de Ferrari au 20 heures de TF1 en confiant au journaliste Renaud Revel : « En restant dix-huit mois aux côtés de Nicolas Sarkozy, j’ai gagné un billet d’humeur dans Le Figaro quand d’autres, qui l’ont fréquenté deux mois, ont hérité d’un JT. » Quelques mois après la publication de cet entretien dans le livre de Revel, Les amazones de la République, Ferrari quitte TF1 pour I-Télé. A cette occasion, elle revient dans Télé 2 semaines sur sa supposée relation avec Nicolas Sarkozy, qui lui aurait valu de décrocher le siège du 20 heures de TF1. « C’est un mythe récurrent » dément-elle une nouvelle fois. « Les rumeurs font partie des côtés désagréables de la vie d’une personne publique. Mais cela ne m’atteint pas : j’ai appris à vivre avec ». L’année suivante, quand Closer publie le récit d’un photographe affirmant avoir vu Ferrari être récupérée dans un parking fin 2007 par un véhicule officiel chargé de la conduire discrètement à l’Élysée, la présentatrice hésitera un an, avant de porter plainte à nouveau. Ce récit continuera d’être relayé par la presse people comme en 2014 par LeGossip.net

« Pluie de contrats » pour Bouygues

Mais revenons au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Alors que TF1 exauce ses volontés et soigne la carrière de plusieurs de ses proches, le groupe Bouygues ne tarde pas à signer une pluie de contrats avec les pouvoirs publics : construction du nouveau bâtiment des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine, de la cathédrale orthodoxe russe de Paris, de trois prisons à Réau, Nantes et Lille, du palais de justice de Paris et du siège du ministère de la Défense, le tout souvent dans le cadre de « partenariats public-privé » ruineux pour les contribuables. Exactement le type de dérives que François Bayrou craignait durant la campagne.

« Pas de romanichels sur mes pelouses »

Martin Bouygues, actionnaire de TF1 et de Bouygues Télécom, à propos de Free

Courant 2008, Martin Bouygues va aller encore plus loin, en transmettant de nombreuses notes à son « cher Nicolas » pour qu’il n’ouvre pas le marché de la téléphonie mobile, alors cornaqué par Orange, Bouygues et SFR, à un quatrième opérateur. Comme le rapporte Guillaume Champeau dans Numérama, pour convaincre son ancien avocat de protéger les intérêts de son groupe, Martin Bouygues lui aurait glissé : « Je me suis acheté un château [Bouygues Télécom], ce n’est pas pour laisser les romanichels [Free] venir sur les pelouses. » Durant des mois, Nicolas Sarkozy met son poids dans la balance pour protéger le marché de son « ami » propriétaire de TF1, quitte à léser les consommateurs.
Ce n’est qu’en juillet 2009, profitant d’un malaise vagal présidentiel qui lui laisse les mains libres, que le Premier ministre François Fillon signera un décret attribuant une quatrième licence de téléphonie mobile à Free. Début 2012, Xavier Niel lancera ses abonnements mobiles à 2 euros par mois qui démocratiseront le téléphone portable en France. Mais au début du quinquennat, c’est surtout dans le sort réservé à France Télévisions que le favoritisme de Nicolas Sarkozy à l’égard de Martin Bouygues se fait jour.

La semaine prochaine: L’Elysée (déja) contre France Télévision