Jean-Baptiste Rivoire
Une fois Nicolas Sarkozy revenu en grâce place beauvau en 2002, il va se concentrer sur la présidentielle de 2007. Avec le soutien d’anciens clients de son cabinet d’avocat, comme Martin Bouygues (propriétaire du groupe TF1), Vincent Bolloré (D8, Direct matin) ou Arnaud Lagardère (Paris Match, le JDD, Europe 1, …). Tous sont persuadés qu’une fois à l’Elysée, Nicolas Sarkozy continuera à se faire l’avocat de leurs intérêts.
En 2004, Serge Dassault rachète au groupe Hersant la Socpresse et Le Figaro. En 2005, Vincent Bolloré, déja propriétaire de Direct Matin, lance sa chaîne D8 sur la TNT. Martin Bouygues, le propriétaire de TF1 et de LCI, a été choisi par le couple Sarkozy pour être le parrain de leur fils, Louis, tout comme Bernard Arnault, patron du groupe LVMH et propriétaire des Echos. Quant à Arnaud Lagardère, présent dans l’aéronautique, l’armement, l’édition et la presse, il va carrément mettre tout son empire de médias au service de la candidature Sarkozy.
» Double casquette «
Quelques mois avant la mort de son père en 2003, Nicolas Sarkozy avait promis au patriarche de « veiller sur son fils ». Selon une enquête de Mediapart, en 2004 il aurait profité de sa double casquette de ministre du Budget et d’avocat du groupe Lagardère pour que son ami Arnaud puisse ne pas payer trop d’impôts sur la succession : « Une dizaine de millions d’euros seulement », une « misère » par rapport aux 320 millions transmis par son père, écrira notre confrère Laurent Mauduit. Le ministre du Budget a-t-il aidé Arnaud Lagardère dans l’espoir d’être soutenu par Paris Match, Europe 1 et Le JDD pour la présidentielle de 2007 ?
L’arrangement fiscal avait en tout cas choqué François Bayrou : « Arnaud Lagardère ne fait pas mystère de l’aide que lui a apporté Nicolas Sarkozy, alors ministre des Finances, en 2004. Chacun sait que le ministre des Finances est maître des transactions fiscales, notamment lorsqu’il s’agit de droits de succession. » Le ministre aurait-il aidé son ami marchand d’armes? « Le climat entre les deux hommes a permis de faciliter les solutions dans le cadre de cette succession », reconnaîtra Claude Guéant sur France 2 quelques années plus tard.
» Je préfère ne pas répondre à cette question «
Arnaud Lagardère interrogé à l’Assemblée sur la faible imposition de sa succession
Des « solutions » sur lesquelles Arnaud Lagardère se gardera bien de s’étendre. Interrogé sur le sujet en commission des finances de l’Assemblée, il lâchera dans un éclat de rire : « Alors là… On a droit à un joker, ici… Ou bien je téléphone à un ami, ou je demande le 50/50. Mais très franchement, je préfère ne pas répondre à cette question… ». Réinterrogé sur ce point par Julien Daguerre en 2017 pour un Envoyé spécial de France 2, Arnaud Lagardère affirmera finalement que l’arrangement fiscal aurait été négocié avec Alain Lambert, le prédécesseur de Nicolas Sarkozy au ministère du Budget.
» Je vous présente quelqu’un qui est un peu un frère pour moi «
Arnaud Lagardère accueillant Nicolas Sarkozy à Deauville en 2006
Mais en avril 2005, la lune de miel continue: le groupe Lagardère invite Nicolas Sarkozy à un séminaire à Deauville. Devant Alain Genestar, alors patron de Paris Match et Jean-Pierre Elkabbach, alors à la tête d’Europe 1, Arnaud Lagardère monte sur scène. En pull blanc décontracté, micro en main, il se lance dans un vibrant hommage à son « ami » Nicolas : « Il y a un homme, un, qui a œuvré pour nous, j’allais dire pour moi, mais ce qui compte, c’est surtout pour nous, c’est-à-dire in fine pour notre indépendance et notre survie, notamment en politique, c’est lui. […] Je vous présente quelqu’un qui est un peu un frère pour moi. […] Je vous demande un tonnerre d’applaudissements pour… Nicolas Sarkozy ! »
Vendre sans relâche le » couple présidentiel qui monte «
Dans ce contexte, dans la perspective de la présidentielle de 2007, les médias Lagardère vont s’efforcer de « vendre » sans relâche le « formidable duo » que le ministre de l’Intérieur formerait avec son épouse Cécilia, présenté à longueur de reportages photo complaisants dans Paris Match ou Le JDD comme « le couple présidentiel qui monte ».
Sauf que, depuis 2005, ce beau roman-photo ne correspond plus à la réalité. Loin de la photo où ils posaient dans le bureau du ministre avec le jeune Louis jouant au pied de ses parents (clin d’œil de Paris Match à une célèbre photo du président américain John Kennedy dans le bureau ovale de la Maison-Blanche avec son fils John-John dans les années 1960), le couple Sarkozy s’est fissuré. Pour le ministre, qui vient de se faire élire à la tête de l’UMP et rêve d’accéder à l’Élysée en 2007, c’est une catastrophe politique.
“ Quand on n’est pas capable de garder sa femme, on ne peut pas garder la France ”
Dominique de Villepin, à propos de Nicolas Sarkozy
Pendant vingt ans, il s’était mis en scène avec son épouse dans l’espoir de séduire les Français : « Il la qualifiait de “conseillère la plus proche” et précisait bien qu’elle entrerait avec lui à l’Élysée ou que son destin ne se réaliserait pas », rappelait en 2009 l’avocat d’un journal suisse poursuivi en justice par Nicolas Sarkozy. Le candidat de l’UMP craint qu’en se présentant devant les Français en homme esseulé, il perde la présidentielle. D’autant que ses rivaux politiques commencent déjà à ricaner : « En privé, Villepin disait : “Quand on n’est pas capable de garder sa femme, on ne peut pas garder la France” », se remémore un éditeur parisien. Entretenir le mythe du couple « Nicolas-Cécilia » est essentiel pour le candidat, mais aussi pour ses puissants soutiens. Quitte à cacher la vérité aux Français? Entre 2005 et 2007, tous vont s’efforcer de dissimuler l’explosion du couple Sarkozy.
La semaine prochaine: » Opération Cécilia « : intoxiquer l’opinion