
En novembre dernier, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les arguments du consortium sidérurgique Arcelor Mittal tentant à justifier des redevances payées par des filiales françaises du groupe à la maison-mère basée au Luxembourg. Une façon de minimiser artificiellement les bénéfices, et donc les impôts payés en France ?
Passée sous le radar des médias fin novembre 2024, une décision du tribunal administratif de Montreuil est venue porter un coup dur au géant luxembourgeois de la sidérurgie ArcelorMittal, qui a vu plusieurs de ses demandes rejetées par l’administration fiscale française. L’affaire s’inscrit dans le cadre d’un contentieux relatif à plusieurs redevances payées par les filiales françaises du groupe (Industeel Creusot et Industeel Loire) à leur maison-mère basée au Luxembourg. Ces redevances, calculées à hauteur de 1 % du chiffre d’affaires des filiales, ont été remises en question par l’administration fiscale française, qui les considère comme anormales : elles constitueraient un transfert indirect de bénéfices au sens de l’article 57 du Code général des impôts, un dispositif visant à prévenir les abus en matière de prix de transfert entre entités d’un même groupe.
Dans ce contexte, ArcelorMittal France a fait valoir que les redevances litigieuses étaient justifiées par l’utilisation de la marque ArcelorMittal, censée apporter des avantages commerciaux significatifs aux filiales, notamment en termes de visibilité internationale et de notoriété accrue. La société a également mis en avant la cohérence de ces paiements avec les pratiques en vigueur dans les grandes entreprises multinationales. Selon le groupe, sa démarche n’aurait donc pas été motivé par les avantages liés à la fiscalité luxembourgeoise, comparativement avec les normes françaises.
Des filiales françaises siphonnées par la maison-mère luxembourgeoise ?
Une défense qui n’a pas convaincu l’administration fiscale, qui a estimé que les avantages tirés par les filiales françaises de cette licence de marque n’étaient ni démontrés, ni mesurables. Elle a argué que les produits spécifiques des filiales, essentiellement des aciers techniques, étaient commercialisés sous leurs propres marques reconnues dans leurs marchés de niche, et non sous la marque ombrelle ArcelorMittal. Cette dernière ne jouerait donc qu’un rôle limité, voire insignifiant, dans leurs performances commerciales.
L’administration a également rejeté l’étude de prix de transfert produite par ArcelorMittal pour justifier les montants des redevances. Elle a en effet considéré que cette étude, bien que conforme aux standards internationaux comme ceux de l’OCDE, manquait de pertinence au regard des réalités économiques et opérationnelles des filiales concernées. En outre, aucun service concret ou valeur ajoutée tangible fournie par la société luxembourgeoise n’a été clairement identifié, ce qui a renforcé les soupçons d’un appauvrissement intentionnel des filiales françaises au profit de la maison-mère.
Interminable descente aux enfers ?
Rappelons qu’ArcelorMittal venait à peine d’annoncer, à l’issue d’un comité social et économique (CSE) qui s’est tenu au mois de novembre, la « possible » fermeture des sites de Reims et Denain (Nord), spécialisés dans le commerce de gros de métaux et minéraux aux entreprises, et la suppression de 136 emplois, dont 113 à Reims, 21 à Denain et un à Ottmarsheim. Cela représente plus d’un quart des effectifs en France d’ArcelorMittal (Le Figaro, 25 novembre). « En France, selon l’AFP, ArcelorMittal prévoit la fermeture de deux petits sites au printemps, et a suspendu le 26 novembre ses projets d’investissement massif pour la décarbonation de sa production à Dunkerque et Fos-sur-mer, soit 1,8 milliard d’euros dont 850 millions d’aide publique. Ce qui alimente les doutes sur de possibles délocalisations d’activités qui entraîneraient in fine des fermetures de sites ».
En octobre dernier, le producteur français d’hydrogène H2V avait déjà annoncé repousser sa décision de collaborer, ou non, avec ArcelorMittal. L’industriel, qui explique depuis plusieurs années vouloir décarboner les sites du groupe, est effrayé par les incertitudes qui pèsent sur leur avenir et envisage dorénavant de nouvelles stratégies (Ouest-France, 30 octobre).
Pour réduire son empreinte carbone loin d’être négligeable, ArcelorMittal s’était en effet engagé à l’époque de la COP21 à construire deux fours électriques et une unité de réduction directe du fer à Dunkerque, avec comme objectif affiché d’entériner la production d’acier décarboné. Le tout pour près de deux milliards d’euros, comprenant de généreuses aides publiques pouvant aller jusqu’à 850 millions d’euros. Un projet aujourd’hui plus qu’en sursis. Fin novembre, ArcelorMittal a ainsi confirmé le report de sa production d’acier décarboné, comme l’a révélé L’Usine Nouvelle.
Dans le Dunkerquois, une famille sur cinq est liée à ArcelorMittal
Auprès de l’Agence France Presse, la CGT déclare redouter la fermeture définitive de tout le site de Dunkerque. Véritable pierre angulaire de la filiale française du groupe, l’usine de Dunkerque emploie en effet plus de 3000 salariés. 2 000 d’entre eux sont d’ores et déjà concernés par du chômage partiel jusqu’à la fin de l’année, raconte Ouest-France – du jamais-vu depuis la pandémie de Covid-19.
Si l’on prend en compte les sous-traitants, le nombre de personnes qui travaillent pour ArcelorMittal Dunkerque grimpe à plus de 10 000. Dans le Dunkerquois, une famille sur cinq travaille directement ou indirectement pour ArcelorMittal, insiste la CGT. La fermeture serait un scénario d’apocalypse : « Si nous tombons, les autres sites vont tomber avec nous », prophétise le syndicat (La Croix, 23 novembre).
Par ailleurs, le 4 novembre, ArcelorMittal a cédé au groupe Energipole sa filiale qui gérait les activités de manutention portuaire à Richemont et Illange. Une cession conclue en toute discrétion, raconte Le Républicain lorrain. Mais pas sans conséquences pour les emplois : 11 des 18 salariés n’intégreront pas la nouvelle société.
ArcelorMittal condamné dans une affaire d’amiante en Moselle
Mercredi 11 décembre, la Cour d’appel de Metz a également condamné ArcelorMittal dans une toute autre affaire, l’exposition de 58 anciens salariés à l’amiante sur les sites de Gandrange, Florange et Rombas, qui a causé un « préjudice d’anxiété ». « Pour 58 des 120 ex-salariés, la cour a considéré que les demandes n’étaient pas prescrites, et qu’ils avaient été exposés à l’amiante pendant leur activité professionnelle de manière significative et susceptible d’engendrer le diagnostic d’une pathologie grave », a déclaré leur avocat auprès l’AFP. « ArcelorMittal prend acte des décisions de la Cour d’Appel de Metz », s’est simplement contenté de réagir le groupe, qui « ne commente pas les décisions de justice » (BFM Business).
Trois semaines après cette avalanche de nouvelles inquiétantes, l’entreprise a encore présenté un plan social. Au menu, un nouveau dépeçage des activités du groupe, avec la fermeture du site d’ArcelorMittal Distributions Solutions à Strasbourg, 28 nouvelles suppressions de postes à Strasbourg et Valence, portant le total à 161 suppressions de postes, en écartant le trouble avenir du projet d’acier décarboné (Les Dernières Nouvelles d’Alsace, 17 décembre). Le même jour, la secrétaire de la CGT Arcelor dans le Dunkerquois était reçue pour un entretien préalable à un licenciement (Delta FM, 18 décembre).
Un avenir pas nuageux pour tout le monde
Comme pour éteindre l’incendie, ArcelorMittal souligne qu’un autre projet prévoit également « la création de 19 emplois dans d’autres sites » non précisés à ce jour. Il n’est pas certain que cela suffise à rassurer. En décembre, le rond-point permettant d’accéder au site de Saint-Brice-Courcelles a été bloqué par les salariés (L’Union, 17 décembre). Le 12 décembre, un rassemblement était organisé par solidarité à l’usine Saint-Chély-d’Apcher (Radio Totem). Enfin, le 18 décembre, une manifestation a eu lieu sur le site de Dunkerque, en présence de Fabien Roussel, secrétaire du Parti communiste français.
Malgré tout cela, le groupe continue d’afficher un beau résultat net de 1,3 milliard d’euros sur le premier semestre 2024. Une statistique néanmoins deux fois plus basse que lors du premier semestre 2023, temporise Marianne (23 août). Entre 2022 et 2023, le chiffre d’affaires d’ArcelorMittal France a également reculé de 6,1 à 4,7 milliards d’euros.
Des séismes qui n’inquiètent pas forcément en haut lieu. Le directeur général d’ArcelorMittal, Lakshmi Mittal, fut longtemps désigné comme l’homme le plus riche de Grande-Bretagne (7sur7). Le magnat de l’acier est également un habitué du prestigieux classement Forbes des hommes les plus riches du monde.
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