« La lutte est devenue dangereuse, mais ne pas lutter, c’est encore plus dangereux »
L’interview de Serge Duteuil Graziani, survivant de Sainte-Soline

Illustration : Serge Duteuil Graziani blessé
Blessé à Sainte-Soline le 25 mars 2023, Serge Duteuil Graziani est resté deux mois entre la vie et la mort (illustration Arnaud Bétend)

Exclusif Lors de la manifestation de Sainte-Soline, le 25 mars 2023, le militant anti bassine Serge Duteuil-Graziani est grièvement blessé à la tête par une grenade qui aurait été tirée en “tir tendu". Après deux mois passés entre la vie et la mort, il est maintenant en voie de guérison. Il s'est confié à Off Investigation sur les quelques souvenirs qu'il conserve de cette mobilisation, les séquelles qu'il en a gardé et la répression des mouvements sociaux en France.

Off Investigation : Dans quelles circonstances avez vous été blessé ?

Serge Duteuil-Graziani : J'ai le souvenir de quelque chose qui explose derrière moi, avant le deuxième impact. Pendant très longtemps, j'ai cru que j'avais reçu un coup de matraque télescopique qui m'avait enfoncé le crâne. J'ai le souvenir d'un choc crânien très important. A priori, le tir qui m'a visé -tout n'est pas encore clair évidemment- ce sont des projectiles que les gendarmes sont censés tirer en l'air et pas en tir tendu, ça n'a pas du tout la même force d'impact. Le choc a détruit une partie de ma boîte crânienne. À l'heure actuelle, je ne suis pas protégé intégralement par mon crâne. Donc je mets un casque en attendant d'avoir une prothèse. J'ai perdu la mémoire du jour même, parce qu'à chaque fois qu'il y a un traumatisme crânien, le cerveau bloque volontairement toute image qui lui rappelle le choc et donc un danger pour lui même. C'est une sécurité mentale, on va dire. Une partie de mes séquelles dites cognitives sont encore inconnues. On m'a dit que les bilans définitifs sur les traumatismes crâniens, on ne peut les faire qu'au bout de deux ans. Donc je me méfie.

D'une certaine manière, je m'en sors bien parce que j'ai un certain nombre de choses qui sont revenues assez vite. D'ailleurs sur la mémoire, c'est fou comme j'ai perçu très vite l'importance d'une partie de la solidarité qui m'a été manifestée. Mes collègues de travail et les gardiens de refuge (Serge Duteuil Graziani est accompagnateur en moyenne montagne, ndlr) m'ont très rapidement envoyé des photos et des messages qui me rappelaient mon quotidien de vie et de travail de ces dernières années. Ça m'a énormément stimulé la mémoire, à peine sorti du coma, alors que ce n'était pas gagné selon les médecins. Il y avait des chances que je me réveille sans aucune mémoire tout court. Comme quoi, il n'y a aucune solidarité, même toute petite, qui ne sert à rien. N'importe quel geste, en l'occurrence envoyer des photos et des témoignages, des messages, ça sert, ça a une utilité.

"L'eau est une problématique mondiale, écologique et sociale"

Serge Duteuil-Graziani, manifestant blessé à Sainte-Soline

Off Investigation : Pourquoi manifester contre le chantier de mégabassine à Sainte-Soline ?

Serge Duteuil-Graziani : Disons que globalement, je m'intéresse à ce qui bouge dans la société, je vais voir ce qui s'y passe. Il se trouve que je travaille aussi majoritairement en milieu extérieur et que la problématique de l'eau c'est quelque chose qui m'est forcément familier. J'ai aussi un entourage paysan. Je pense que la question de l'accaparement de l'eau par des intérêts capitalistes privés, ça pose une question presque de guerre de classe à l'intérieur du monde agricole. Cela vient soumettre des petits paysans au bon vouloir des propriétaires de ces mégabassines qui décident ou non de leur distribuer de l'eau à des moments clés du monde agricole.

Je suis allé à Sainte-Soline premièrement parce que je pense que l'eau est une problématique mondiale à la fois écologique mais aussi sociale. C'est les dépossédés d'ici ou là qui vont souffrir du manque d'eau à l'échelle planétaire. Et deuxièmement, on était en pleine lutte contre une énième tentative de suppression des retraites en France. Et moi je pense pas que les luttes se font particulièrement concurrence. Je pense au contraire qu'elles ont tendance à se renforcer quand elles ont lieu dans des temporalités similaires. Et qu'en plus, elles ont souvent un ennemi commun, le capitalisme.

Fraternité dans les luttes

La fraternité et la solidarité que j'ai pu très vite constater dans des moments de luttes, m'ont énormément plu. Surtout en comparaison de ce que je pouvais trouver dans cette société qui est quand même une mise en concurrence à tous les échelles des individus, qui moi ne me va pas. En plus de ces situations, j'ai découvert par le travail, par tout un tas de choses, ce que c'était que la domination ou l'exploitation. Donc c'est venu me conforter là dedans, de dire que oui, il y a des gens dans cette société qui ont intérêt à lutter pour améliorer leur condition et c'est pas le cas de tout le monde, mais en tout cas, pour nous, c'est primordial.

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