Macron l’Américain, la France livrée aux Gafam

Macron l’Américain, la France livrée aux Gafam ? (Gauthier Mesnier, Romain Moriconi), 7 avril 2024, 4ème épisode de la saison 2 de « Emmanuel, un homme d’affaires à l’Élysée ».

De la Silicon Valley à l’Élysée en passant par Las Vegas, voici le récit peu connu des réseaux américains qui ont boosté la carrière politique d’Emmanuel Macron. L’histoire d’une fascination enfantine d’un président pour les Etats-Unis et ses géants du numérique. Pour quel héritage? 

Ce 24 mai 2018, au Salon Viva Tech organisé à Paris par le groupe LVMH de Bernard Arnault, Emmanuel Macron est comme un poisson dans l’eau. En véritable maître de cérémonie, le président français disserte en anglais devant les représentants de Facebook, Google ou Microsoft. A son pupitre, le chef de l’Etat se plie en quatre pour faire venir les GAFAM en France : “Je crois en vous, vous faites un excellent travail et je veux que vous soyez de plus en plus présent en France. Venez !”. 

Emmanuel Macron
Emmanuel Macron au Salon Viva Tech à Paris le 24 mai 2018.

Un vibrant hommage qui sonne à contre-temps. Quelques jours plus tôt en effet, Mark Zuckerberg, patron de Facebook s’excusait devant le Parlement Européen pour avoir détourné les données personnelles de près de quatre vingt millions d’utilisateurs de Facebook au profit de la campagne de Donald Trump en 2016…

Pour comprendre cette fascination quasi béate de notre jeune président pour l’Amérique et ses géants du numérique, il est nécessaire de revenir aux origines de son ascension en politique. En ce début de siècle marqué par les attentats du 11 Septembre puis la guerre en Irak et en Afghanistan, le jeune Emmanuel Macron fait ses gammes au sein de l’Ecole nationale d’administration. 

Creuser son sillon américain 

Sorti de la “botte” de l’ENA en 2004, il entre au ministère de l’Economie comme inspecteur général des finances. Ce corps prestigieux constitue le saint des saints de l’élite administrative du pays, véritable temple du capitalisme de connivence à la française et des va-et-vient entre le privé et le public.

A 27 ans, le jeune loup a du talent mais encore très peu de réseaux internationaux. Il va alors se tourner vers les anciens de l’inspection générale pour creuser un sillon…américain. 

En 2006, il entend parler de la German Marshall Fund, un puissant lobby américain très bien implanté en Europe depuis les années 1970. Très peu connu du grand public, ce lobby de droit américain est très connecté au département d’Etat. De nombreux dirigeants et membres de son conseil d’administration sont passés par les services de sécurité US. Son financement est notamment assuré par l’Us Aid, une agence gouvernementale américaine. 

Jens Stoltenberg
La GMF invite régulièrement l’OTAN à livrer ses analyses. Ici Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN en 2019 (photo DR)

Parmi les autres soutiens financiers, on trouve le gratin du capitalisme américain (certains grands GAFAM comme Amazon, Microsoft, Google) ainsi que des ONG chargées de promouvoir la vision de Washington à l’étranger (Open Society Foundation, Fondation Rockefeller…)  

L’idée de la German Marshall Fund est d’arrimer des générations entières de jeunes européens prometteurs à la vision du monde de l’Oncle Sam. Pour se faire, la GMF leur organise tous les ans des voyages tous frais payés pour découvrir les Etats-Unis. 

Bertrand Badré, un ancien chiraquien de l’IGF devenu banquier d’affaires chez Lazard a participé aux programmes de la GMF. Pour Off Investigation, il a accepté de nous raconter son expérience américaine…XXL : “ Pendant un mois, on vous fait découvrir les États-Unis de l’intérieur. On a une semaine d’intégration à Washington où on vous présente les institutions, la culture, le mode de vie. Puis vous partez en petits groupes pour des expériences folles. A Charlotteville, j’ai passé deux jours avec le rédacteur en chef du Charlotte Observer. Je suis allé rencontrer le maire de Charlotte, le patron de la plus grande banque. À Milwaukee, j’ai passé une nuit dans une voiture de police patrouillant sur l’autoroute Milwaukee/Chicago. On a arrêté des gens sur l’autoroute qu’on a amenés en prison ! Et à Lincoln, j’ai fait la moisson avec d’énormes moissonneuses batteuses pilotés par satellite !” 

Le rêve américain du jeune Emmanuel 

En 2006, Emmanuel Macron veut lui aussi vivre ce rêve américain. Il décide alors d’appeler Bertrand Badré : “ Emmanuel Macron, que je ne connaissais pas, qui était à l’inspection des finances à l’époque m’appelle en me disant : j’aimerais faire ce programme!  Je vois que vous l’avez fait, est ce que vous pourriez me parrainer? Et je lui dis bien évidemment, je l’ai rencontré, on a échangé. il me paraissait avoir le profil adéquat pour faire ce programme.

Christine Lagarde et Bertrand Badre
Christine Lagarde, directrice du Fonds monétaire international et Bertrand Badré, directeur financier de la banque mondiale lors d’une réunion du G20 à Sidney (Australie) le 22 février 2014 (Photo Saeed Khan / AFP)

Parrainée par Bertrand Badré, la candidature d’Emmanuel Macron est très vite validée. En 2007, le jeune inspecteur des finances visitera les installations de la Nasa à Houston (Texas), puis le ­Wisconsin et Seattle sur la côte Ouest. Ravi de son voyage dans les valises de la GMF, Emmanuel Macron aurait- selon le JDD – proposé d’héberger les boursiers américains quand ils viendraient en retour à Paris. 

De retour en France, le jeune Emmanuel Macron continue son inexorable ascension politique. En 2008, il quitte la haute fonction publique pour rejoindre le privé : Rothschild & Co, une des plus prestigieuses banques d’affaires franco-britannique. En trois ans, il y fera fortune : près de trois millions d’euros. En 2010, il adresse des notes économiques à François Hollande tout en continuant à soigner ses réseaux américains. 

En 2012, grâce à Bertrand Badré – encore lui – Emmanuel Macron va se rapprocher d’un autre cercle d’influence américain : la French American Foundation. Comme la German Marshall Fund, cette organisation de droit privé – financée par Bank Of America et les GAFAM (Microsoft, Facebook, Google) – développe un programme d’échange baptisé Young Leader. Un échange de plusieurs semaines où une douzaine de jeunes Français se frottent aux élites américaines de la même classe d’âge. Un programme pensé pour insuffler les bienfaits de la globalisation à l’anglo-saxonne dans la tête des jeunes élites françaises. 

Des générations de « Young Leaders » français 

Parmi la grande famille des Young Leaders, côté politique, on trouve François Hollande, Pierre Moscovici, Alain Juppé, ou encore Edouard Philippe. Mais aussi des grands pontes du CAC 40, souvent issus de la haute fonction publique partis pantoufler dans le privé comme Anne Lauvergeon (Areva), Henri de Castries, (AXA), ou Patrick Pouyanné (Total). Enfin, on peut y noter la présence de la fine fleur du journalisme français comme Christine Ockrent (Antenne 2), Jean Marie Colombani (Le Monde), Bernard Guetta (France Inter) ou encore Laurent Joffrin (Libération). 

François Hollande, Young Leader promotion 1996
François Hollande, Young Leader promotion 1996 en compagnie de Denis Olivennes (photo DR) 

Du beau linge peu suspect d’anti-américanisme… D’ailleurs, le programme Young Leader a été mis en place en 1981 en réaction à l’élection possible de François Mitterrand et l’arrivée de ministres communistes au sein du gouvernement. Comme nous l’explique Vincent Dozol, ex correspondant français aux Etats-Unis : “En 1981, les élites américaines qui gardent un œil très attentif sur ce qui se passe en France, avaient identifié un fort risque que François Mitterrand puisse être élu en mai 1981 et qu’un gouvernement opposés farouchement à l’impérialisme américain, à la politique étrangère des États-Unis se mettent en place. Et donc ça inquiétait beaucoup.” 

Au début des années 2010, Emmanuel Macron est un jeune banquier d’affaires prometteur et très proche de François Hollande. Alors que la French American Foundation cherche à intégrer du sang neuf, l’organisation demande conseil à Bertrand Badré : “A l’époque, Emmanuel Macron était jeune banquier d’affaires, il était passé par le Marshall Fund . Il avait un réel intérêt pour les Etats-Unis. Moi j’étais à l’époque, administrateur de la French American Foundation. On demandait des candidats. J’ai suggéré son nom.” 

Emmanuel Macron, Young Leader 2012
Emmanuel Macron, Young Leader 2012 (photo DR) 

Pourtant, Emmanuel Macron ne participera pas au voyage de la promotion 2012 des Young Leader. En mai, François Hollande triomphe de Nicolas Sarkozy. Nommé secrétaire général adjoint de l’Elysée, Emmanuel Macron va laisser Cédric Villani, devenu lui aussi Young Leaders, suivre le programme sans lui : “On l’a pas vu ni dans la partie française du programme, ni dans la partie américaine. Moi je l’ai rencontré une année après et je me souviens même l’une des premières questions que je lui ai posées, c’était : pourquoi il n’avait pas participé à ce programme qui est d’habitude très demandé. Il m’a répondu qu’il était juste trop occupé par les affaires nationales.” 

Toutes ces années à flirter avec les réseaux de l’oncle Sam ont-ils fait d’Emmanuel Macron un parfait américain avant même qu’il n’intègre les arcanes du pouvoir français ? Nous avons posé la question à un haut responsable de la French American Foundation qui connaît bien Emmanuel Macron. 

“ Il est difficile de faire une carrière politique en France en tournant le dos aux réseaux américains.”  

Un haut responsable de la French American Foundation 

Selon lui, la fascination d’Emmanuel Macron pour les États-Unis reste très superficielle : “il s’est rapproché de la French American pour se faire un réseau en France. C’est assez logique car il est difficile de faire une carrière politique en France en tournant le dos aux réseaux américains. Je ne pense pas qu’il ait un tropisme américain fort chez Emmanuel Macron. D’ailleurs, son anglais est un anglais appris et non parlé. C’est avant tout un pur-produit de l’élite franco-française. C’est un personnage de Balzac, un Amiénois de province.” 

Dès 2014, après deux années passées auprès de François Hollande, le jeune secrétaire général adjoint de l’Élysée va saisir une occasion exceptionnelle de se faire à nouveau remarquer par les réseaux américains. Notamment par Henri de Castries, ex patron d’Axa. 

Un jeune Young Leader au Bilderberg de Copenhague 

En ce mois de mai 2014, cet ex Young Leader et ancien de l’Inspection générale des Finances, préside également le groupe Bilderberg. Ce rendez-vous en eau profonde rassemble chaque année une centaine de dirigeants américains et européens très haut placés pour discuter des affaires du monde dans une absolue confidentialité. 

Créé en pleine guerre froide sous l’égide de la CIA, le groupe Bilderberg visait à ranger les dirigeants Européens derrière les États-Unis afin de contrer l’influence du communisme sur le Vieux Continent.

En mai 2014, Henri De Castries propose à Emmanuel Macron d’intégrer ce Gotha pro-américain lors du 62e congrès du groupe Bilderberg qui se tient cette année là à l’hotel Marriott de Copenhague. Devant un cénacle très atlantiste composé entre autres d’Eric Schmidt, patron de Google ou d’Anders Fogh Rasmussen, secrétaire général de l’OTAN, le tout jeune secrétaire général adjoint de l’Élysée va dénigrer François Hollande, estimant qu’il ne va pas assez loin dans les réformes néo-libérales ! 

Après avoir poignardé son patron dans le dos, Emmanuel Macron claque la porte de l’Elysée. Sitôt son départ consommé, il s’envole avec sa femme Brigitte pour un voyage de deux mois dans la Silicon Valley en Californie. Emmanuel Macron rêve d’une réussite à l’Américaine dans la Tech : il veut fonder une start-up d’enseignement numérique. 

Mais le 26 août 2014, après deux mois passés dans la Silicon Valley à rencontrer des investisseurs américains, coup de théâtre : Emmanuel Macron est nommé ministre de l’Économie à la place d’Arnaud Montebourg. 

Macron, lobbyiste d’Uber au sommet de l’Etat 

Très vite, Bercy lui donne l’occasion d’imprimer sa marque. Elle fleure bon l’Amérique. En cette fin d’été 2014, Uber, une multinationale de la tech américaine alors peu connue, cherche à dynamiter le marché des taxis en France. C’est la première manifestation hexagonale de ce qu’on appellera bientôt l’ubérisation : mettre en lien clients et prestataires via une plateforme numérique. Dans le cas du géant américain, les chauffeurs Uber sont des particuliers français, sans protection sociale ni formation. Très vite, la croissance est au rendez-vous dans l’Hexagone. 

Un modèle à la sauce américaine difficilement compatible avec notre modèle social comme nous l’explique Danielle Simonnet, députée LFI de Paris : “Derrière il y a un projet politique. C’est remettre en cause la centralité du salariat et s’attaquer à notre système de protection sociale. Et finalement promouvoir le développement de l’ubérisation, c’est promouvoir un capitalisme qui externalise tout. Vous êtes une entreprise, mais sous prétexte que vous vous autoproclamé comme plateforme, vous n’avez pas à assumer votre rôle d’employeur.” 

Au risque d’une américanisation de notre modèle social ? : “Bien sûr. Je pense que c’est ça le projet. C’est un projet néolibéral qui vise à revenir en fait sur plus d’un siècle de conquête du mouvement ouvrier, puisque vous revenez au modèle du tâcheronnage payé à la tâche et vous revenez au modèle où c’est à chacun d’assurer son assurance pour l’ensemble des risques. Donc vous revenez sur toutes les conquêtes du Conseil national de la Résistance, sur le système de protection sociale.”

Pourtant, un grain de sable apparaît dans la formidable croissance d’Uber en France. En octobre 2014, la loi Thévenoud impose 250 heures de formation pour les chauffeurs Uber. Un coup dur pour le géant américain en France. Pourtant, malgré les effets délétères d’Uber sur notre modèle social, Emmanuel Macron va continuer à jouer les lobbyistes des intérêts Américains au sommet de l’État. 

“Un ministre de la République, au lieu de défendre l’intérêt général, a dealé avec un géant américain qui piétine l’état de droit.” 

Danielle Simonnet, députée LFI de Paris 

Alors que le gouvernement socialiste de l’époque n’est pas favorable à donner des passe-droits à Uber, le tout jeune ministre de l’Economie va œuvrer en coulisse pour aider les Américains. En février 2016, il “deale” avec Uber l’arrêt de la plateforme “Uber pop” en échange d’un abaissement de la durée de formation des chauffeurs de 250 heures à 7 heures. “ C’est à dire qu’en une journée vous pouvez devenir VTC, s’alarme Danièle Simonnet. La formation est totalement rabaissée, c’est quand même énorme comme changement parce que la problématique d’Uber à ce moment là, pour pouvoir développer ces VTC de manière concurrentielle aux taxis, et bien la plateforme Uber a besoin d’inonder le marché. Et pour inonder le marché, il faut pouvoir recruter énormément de personnes qui très rapidement peuvent devenir opérationnelles au volant d’une voiture et faire chauffeur Uber. Et donc il faut absolument rabaisser les exigences de formation.” Et de conclure : “C’est  très problématique pour eux de reconnaître que finalement, un ministre de la République, au lieu de défendre l’intérêt général, a dealer avec un géant américain qui piétine l’état de droit. Mais pourtant c’est la vérité.” 

Dérouler le tapis rouge à Amazon 

Et Uber n’est pas le seul géant américain qu’Emmanuel Macron a favorisé dans l’Hexagone. Une fois élu président, le nouveau locataire de l’Élysée a déroulé le tapis rouge à Amazon, mastodonte américain du commerce en ligne.  

Emmanuel Macron
Emmanuel Macron, chouchou des GAFAM ? © Off Investigation

Malgré ses effets délétères sur le petits commerces, dès son élection, Emmanuel Macron va tout faire pour défendre mordicus la multinationale de Jeff Bezos. En 2017, alors qu’Amazon doit près de 200 millions d’euros au fisc français, le gouvernement va lui proposer une ristourne très avantageuse. Alma Dufour, député LFI de Seine Maritime témoigne auprès de Off Investigation : “A l’époque où Macron est élu, il y a un redressement fiscal en cours sur Amazon. Mais le gouvernement va utiliser ce qu’on appelle le verrou de Bercy, c’est à dire une transaction à l’amiable entre Bercy et Amazon pour diviser au moins par trois voire par quatre les impôts qu’auraient dû payer Amazon en arriéré.” 

Après avoir fait ce cadeau à Amazon, les macronistes auraient négligé une fraude à la TVA encore plus hallucinante : “La direction de Bercy de la répression des fraudes estime que 98 % des vendeurs qu’elle contrôle sur Amazon fraudent la TVA, nous a confié Alma Dufour. C’est colossal. On parle d’un milliard de manque à gagner rien que pour Amazon. C’est énorme. C’est non seulement de l’argent en moins dans les caisses de l’État, mais c’est aussi une concurrence déloyale absolument hallucinante.” 

Grâce à cette mansuétude fiscale d’Emmanuel Macron, la multinationale de Jeff Bezos se développe à vitesse grand V en France. Depuis 2017, ses entrepôts de près de 200 000 mètres carrés ont été multipliés  par 11. Une bétonisation à marche forcée qui inquiète les défenseurs de l’environnement et les parlementaires. 

Piétiner la Convention Citoyenne pour le Climat

Au printemps 2021, la Loi Climat et notamment son article 52 propose de limiter à 10.000 mètres carrés les possibilités d’artificialiser des sols pour toutes les grandes surfaces commerciales comme Ikea, Carrefour mais aussi… Amazon. Une mesure qui porterait un coup fatal au géant Américain du commerce en ligne et à ses giga entrepôts. Une idée  proposée par les citoyens de Convention pour le Climat qu’Emmanuel Macron a promis de reprendre “sans filtre”… 

Mais étrangement, le gouvernement va tout faire pour que le e-commerce et ses entrepôts géants ne rentrent pas dans ce nouveau cadre très contraignant. En mai 2021, quand la Loi Climat arrive à l’Assemblée Nationale, elle prévoit bien d’interdire les surfaces commerciales de plus de 10 000 mètres carrés…Sauf pour le commerce en ligne ! 

Le 16 février 2022, point d’orgue de la liaison entre Emmanuel Macron et Amazon. Alors que la France manifeste contre la réforme des retraites, le président français décore discrètement Jeff Bezos de la Légion d’Honneur. 

Confier nos données de santé à Microsoft 

Microsoft est le troisième et dernier GAFAM américain à avoir été bichonné par Emmanuel Macron. En 2019 en effet, l’État envisage la création d’une base nationale des données de santé – nommée Health Data Hub. Le projet, soutenu par Emmanuel Macron, consiste à regrouper dans un même endroit l’ensemble des données de santé des Français, jusqu’ici éparpillées un peu partout sur le territoire. 

Une véritable mine d’or pour les industriels selon Bernard Benhamou, secrétaire générale de l’institut du numérique :  “Il faut le rappeler, les données de santé des Français sont parmi le plus grand patrimoine de données au monde, structurées de manière identique sur l’ensemble du territoire, ce qui n’est pas du tout le cas aux États-Unis ou dans la plupart des pays”.

Un constat partagé par Philippe Latombe, députée Modem de Vendée : “il peut y avoir un intérêt géostratégique pour nos alliés américains, qui ne sont pas forcément toujours nos amis, ils aimeraient bien avoir une information sur comment ça se passe en France, quel est notre niveau de santé, comment ça fonctionne. Parce que ça, plus d’autres informations, ça donne une idée de la stabilité, de la force, du mode de fonctionnement de la France qui reste quand même un pays important en Europe et sur lequel il est toujours bon d’avoir un œil”. Parmi les mastodontes de la tech qui souhaitent garder un œil sur nos données de santé : le géant informatique Américain Microsoft et ses 200 milliards $ de chiffres d’affaires. 

En décembre 2019, les macronistes offrent à Microsoft ce qui peut bien s’apparenter à une poule aux œufs d’or :  l’hébergement du Health Data Hub et donc des données médicales de 67 millions de Français. “ Il apparaît que seul la société Microsoft est capable de garantir, de répondre à l’ensemble des prérequis qui sont ceux du Health Data Hub” déclarait en février 2022 Cédric O, secrétaire d’État au numérique, lors d’une commission sénatoriale qui l’interrogeait sur les cabinets de conseils. 

“On méprise le fait qu’il y a des entreprises potentiellement capables” 

Catherine Morin-Desailly sénatrice UDI de Seine-Maritime

Des acteurs français existaient pourtant selon Catherine Morin-Desailly, sénatrice UDI de Seine-Maritime : “Beaucoup se sont émus sur la toile en disant mais qu’est ce qu’il raconte? Il faut savoir que quelques temps après, Bernard Charlès, de Dassault Systèmes, a approché le président de la République et lui a dit dans une réunion publique que pour la Plateforme des données de santé, alors qu’il était capable chez Dassault, ils n’ont jamais été approchés. Donc, d’abord, il y a eu une faute qui est de ne pas avoir organisé un marché, un appel d’offres. Or, vu les montants, les implications et les enjeux autour du traitement à terme de ces données de santé, ça me semble être le b a ba. Et surtout on méprise le fait qu’il y a des entreprises potentiellement capables.”  

Surtout, selon Bernard Benhamou, le choix d’un hébergeur américain s’est fait au mépris total des impératifs de souveraineté française : “En quoi c’est problématique? Ces données, c’est la quintessence même de ce que nous sommes dans le sens le plus profond, c’est à dire les pathologies, ou l’ADN avec les données génomiques, c’est vraiment ce que nous sommes. Permettre à une société qui devra répondre, si la demande lui en est faite, de transmettre ces données aux autorités américaines, c’est prendre un risque considérable” .

En cause : le Cloud Act, une loi autorisant Washington à accéder à toutes les données privées détenues par les multinationales américaines sur ou en dehors du territoire des États-Unis

“Le Health Data Hub est une remise en cause du contrat social français ” 

Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut du Numérique 

C’est d’autant plus problématique que dans cette affaire, les américains se préoccuperaient en réalité assez peu de notre santé… “Le principe de ces GAFAM aujourd’hui, ce n’est pas de devenir des acteurs de la santé, ce n’est pas leur intérêt, estime Bernard Benhamou. Leur intérêt, c’est de devenir des acteurs de la prévention et de l’assurance. Ce qui veut dire en clair, remettre en cause notre assurance telle qu’elle existe, c’est à dire notre modèle de protection sociale au profit d’une vision de capitalisation, d’hyper individualisation du risque. C’est à l’opposé de ce qui constitue depuis la seconde guerre notre modèle social, notre sacro sainte sécurité sociale. C’est un danger politique, ce n’est pas qu’un danger technique ou industriel, c’est vraiment une remise en cause des fondamentaux, du contrat social français tel qu’il a été plus ou moins adopté après la Seconde Guerre.” 

En ouvrant grand les portes de la maison France à Uber, Amazon ou Microsoft, Emmanuel Macron a fait des heureux …outre Atlantique. Les Français, eux, se retrouvent avec une Sécurité Sociale mise à mal, des petits commerces laminés et des données de santé à la disposition de l’oncle Sam.

Après avoir offert de tels cadeaux aux Américains, Emmanuel aurait pu au moins se faire bien voir de Washington ! Pourtant, au fil des ans, la France a fini par se faire humilier par l’Amérique de Donald Trump. Après qu’en juillet 2019, le locataire de l’Élysée ait entrepris de taxer (timidement) les GAFAM à hauteur de 3% de leur chiffre d’affaires français, Trump s’étrangle sur Twitter. 

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Quelques mois plus tard, Macron rétropédale sur Twitter. 

La bromance entre Donald Trump et Emmanuel Macron aura vite tourné court…