Revenu récemment dans l’actualité suite à son refus d’intégrer le gouvernement Attal, le patron du Modem est visé depuis quelques mois par une plainte déposée à Pau pour « abus de confiance » et « prise illégale d’intérêts ». La plaignante aimerait comprendre pourquoi un terrain dont elle a hérité n’est plus constructible alors qu’une parcelle appartenant à l’associé de l’ancien premier adjoint de François Bayrou a échappé à cette sentence. Si les deux protagonistes sont décédés, la justice reste saisie pour faire la lumière sur ce sac de nœud.
S’il est soulagé d’avoir été relaxé dans l’affaire des emplois fictifs au Modem (bien que le parquet de Paris ait annoncé faire appel), François Bayrou n’en a peut être pas fini avec les soucis judiciaires. Depuis le 13 juillet 2023, le patron du parti centriste est en effet visé par une plainte déposée au parquet de Pau, la préfecture des Pyrénées-Atlantiques dont il est maire depuis 2014. Bien que déposée contre X, c’est bel et bien le premier magistrat de la ville, en l’occurrence François Bayrou, qui est visé.
Sollicité fin novembre à propos de la plainte d’une habitante, le procureur de la république de Pau Rodolphe Jarry indiquait à Off Investigation que « L’audition de l’intéressée a été repoussée deux fois, mais devrait désormais avoir lieu courant décembre ». Selon nos informations, Claudine Albira, la plaignante, a effectivement été auditionnée par un officier de police judiciaire le 12 décembre à Pau. Relancé en février, le procureur de la République nous a confirmé « qu’une enquête a été ouverte et confiée au commissariat de Pau ».
Un héritage difficile
Le différend entre la plaignante et François Bayrou démarre lorsque le père de Claudine Albira décède et que sa fille hérite (en indivision) de deux parcelles près d’une zone urbaine en périphérie de la ville de Pau. « Je voulais transmette ces parcelles à mes enfants pour qu’ils puissent construire leur maison. Au lieu de ça, ils ont dû acheter un terrain et construire à leur frais. » explique à Off Investigation la sexagénaire qui possède plusieurs entreprises dans les Pyrénées-Atlantiques.
En cause, le fait que le 19 décembre 2019, le plan local d’urbanisme intercommunal de l’agglomération Pau Béarn Pyrénnées (présidée par François Bayrou) décide de classer les parcelles en question, ainsi qu’un nombre conséquent d’autres parcelles dans cette zone pourtant densément lotie, en « zone naturelle ». Officiellement, le secteur risque des inondations. Conséquence : elles deviennent inconstructibles.
Contrariée, Claudine Albira fait alors une demande de basculement de ses parcelles classée en « zone naturelle » en « zone à urbaniser » afin de pouvoir construire. Comme elle l’indique dans sa plainte, il s’agissait de « rendre sa cohérence à cette zone, pleinement urbaine, et sur laquelle elle entend porter à terme des travaux de construction ». Refus de l’intercommunalité. Elle remarque alors qu’une parcelle située à proximité des siennes a échappé, elle, au classement en « zone naturelle ».
Des proches de Bayrou privilégiés ?
Et effectivement, dans le lot de parcelles concernées par ce passage en « zone naturelle », il y en a une qui, bien que soumise selon elle au même risque d’inondation que les autres, va finalement être classée dans le PLUI (Plan local d’urbanisme intercommunal) en « zone urbaine à urbaniser ». Donc constructible. Numérotée 102, elle n’est qu’à quelques centaines de mètres de celles de Claudine Albira. Initialement classée « zone naturelle », elle a été basculée en « zone constructible ». De quoi suspecter un passe-droit injustifié ?
Dans le rapport de la commission d’enquête missionnée dans le cadre de la modification du plan local d’urbanisme, un voisin de la parcelle 102 s’étonnait qu’elle soit constructible alors que « le PLUI met en avant la volonté de limiter l’expansion urbaine ». En réponse, la Communauté d’Agglomération Pau Béarn Pyrénées (CAPBP) indiquait que cette parcelle était raccordée au réseau électrique et suffisamment éloignée du ruisseau. Même réponse à un deuxième voisin ayant également formulé des observations sur l’opportunité de l’urbaniser. Elle sera finalement classée en « zone à urbaniser », donc constructible.
Particularité de cette parcelle 102 : est la seule à échapper au classement « zone naturelle ». Et si on regarde son propriétaire, il s’agit de Jean-Pierre Casadebaig, ancien avocat au barreau de Pau et associé de Maître Jean-Paul Brin, premier adjoint de François Bayrou lors de la précédente mandature (2014-2020). L’un comme l’autre sont décédés aujourd’hui. Le premier en novembre 2022 et le deuxième en juin 2019. Au moment de l’élection d’Emmanuel Macron, en 2017, Jean-Paul Brin était pressenti pour prendre la suite de François Bayrou si ce dernier était resté ministre plus longtemps que son éphémère passage à la place Vendôme.
Pour Claudine Albira, « Il semble assez évident qu’un passe-droit a été octroyé aux fins d’augmenter la valeur foncière de la parcelle de Jean-Pierre Casadebaig quand concomitamment, l’ensemble des autres parcelles étaient basculées en zone naturelle, supposément pour risque d’inondation. » Cette conviction, elle se l’est forgée à force de se heurter au silence du maire de Pau « Depuis la modification du PLUI j’ai demandé des rendez-vous par téléphone avec François Bayrou. Je me suis déplacée jusqu’en mairie pour rencontrer son secrétaire Stéphane Thérou qui m’a promis un rendez-vous de visu. J’attends toujours et cela fait trois ans. La plainte était mon dernier espoir ».
S’il y a bien un ruisseau qui passe dans ce quartier de Pau, lorsqu’on regarde le plan, il fait un crochet au niveau d’un lotissement qui précède les parcelles de Claudine Albira. Elle est donc loin d’avoir les pieds dans l’eau. À contrario, la parcelle de Jean-Pierre Casadebaig est bien plus proche du ruisseau.
Dans sa plainte, l’avocat de Claudine Albira, Vincent Poudampa, aimerait que « le parquet ouvre une enquête préliminaire pour permettre d’identifier si oui ou non l’intervention de certaines personnes au sein de la communauté d’agglomération de Pau et de la commune a permis le passage en zone urbaine de la parcelle appartenant à l’associé en affaires du premier adjoint du maire de Pau. » Selon lui, la logique aurait voulu que, compte tenu de son emplacement, cette parcelle n’ait pas de traitement de faveur et ne soit pas constructible comme c’est le cas pour tous les lopins de terre de cette zone.
Un recours pour faire annuler le PLUi
Bien avant de saisir le procureur de Pau, Claudine Albira avait saisi le tribunal administratif de Pau le 21 août 2021 pour demander l’annulation du Plan Locale d’Urbanisme Intercommunal. Elle invoquait une « erreur manifeste d’appréciation sur le classement de ses parcelles ».
Dans le mémoire en défense de l’intercommunalité qu’Off Investigation a pu consulter, cette dernière se défend en écrivant que les parcelles litigieuses « ne sont pas situées dans le tissu urbain constitué de la commune de Pau. D’ailleurs, ces parcelles, et particulièrement la parcelle BR 13 pour l’essentiel, sont partiellement classées en zone rouge du plan de prévention du risque inondation (PPRI), considérées comme exposée à des risques importants ou dangereux. Le principe général du PPRI dans la zone rouge est d’y interdire toute nouvelle construction. On voit mal comment un classement en zone à urbaniser aurait ainsi pu être envisagé sur ce secteur. Aussi, c’est pour toutes ces raisons que la commission d’enquête a considéré que le classement de la parcelle est « cohérent avec les objectifs affichés du PADDi (Projet d’Aménagement et de Développement Durable intercommunal) mis en œuvre dans le projet de PLUi ». À ce jour, le délibéré n’est pas connu. Sollicité par SMS et par mail, François Bayrou n’a pas répondu aux questions de Off Investigation.
Quant à la parcelle 102, selon nos informations, elle devrait bientôt accueillir un important projet immobilier : un lotissement de 18 logements (10 maisons avec piscine et 8 appartements dans un immeuble). Porté par la société SAGEC, il est situé avenue de la Fontaine Trespoey et comme on peut le voir sur le permis de construire, c’est la parcelle 102 qui accueillera ce projet.
De quoi crédibiliser les doutes de Claudine Albira sur un potentiel passe-droit obtenu par les proches de François Bayrou. Opposée au projet, une association du nom de Fontaine Trespoey (en référence à l’adresse du lotissement prévu) a été créée et a déposé trois recours en justice pour contester ce projet immobilier. Claudine Albira, elle, espère que ses parcelles seront reclassées un jour en zone constructible pour « les vendre et tourner la page ».
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