François Bayrou et ses « grandes oreilles qui n’écoutent pas le peuple »

Le premier ministre François Bayrou, sur sa nouvelle chaîne Youtube, le 5 aout 2025 (photo DR)

Après avoir annoncé 40 milliards d’euros d’économies, le Premier ministre François Bayrou a crée une chaîne Youtube pour « partager et échanger, régulièrement, avec les Français ». Sans vraiment convaincre les internautes…

« Entre les efforts qu’on choisit et les sacrifices qu’on subit, c’est là qu’est aujourd’hui la question qui va se poser à chacun des Français. » En ce 5 août, le Premier ministre François Bayrou se fait martial. En chemise blanche sur fond de parc de Matignon, il inaugure sa nouvelle chaîne Youtube, les yeux dans ceux des Français. « C’est pourquoi je voudrais, pendant les semaines qui viennent, échanger avec vous sur ce sujet, partager avec vous ce que l’on appelle les contraintes, c’est-à-dire la nécessité qui est devant nous, qui pèse sur nos épaules et que nous ne pouvons pas mettre de côté. » 

Vous êtes partis à la pêche ou à la plage ? Bronzez tranquille. L’hôte de Matignon, lui, veille au grain : « Tous les responsables partent en vacances, bien méritées, ce que je ne ferai pas. Parce que les jours que nous allons vivre pendant ces semaines du mois d’août et du début du mois de septembre, ces jours sont absolument cruciaux. C’est le moment où tout va se jouer. » 

Irresponsabilité budgétaire

Après cette introduction alarmiste, le premier ministre le « plus impopulaire de la Ve République » (moins de 20% d’opinions favorables selon différents sondages réalisés courant juin) entre dans le vif du sujet. « Nous sommes menacés par un mal auquel nous n’échapperons pas si nous ne sommes pas courageux. » Attention : François Bayrou ne fait pas référence au « côté obscur de la Force », ce versant maléfique de la célèbre saga Star Wars, mais à un danger bien réel : la dette de la France (plus de 3 400 milliards d’euros). « Quand on est obligé d’emprunter non pas pour acheter une maison, pour un appartement, pour l’équipement de la maison ou pour acheter une voiture, mais simplement pour payer les frais de tous les jours, quand on est obligé d’emprunter et qu’on ne peut plus rembourser sans aller tous les mois à la banque pour demander un crédit supplémentaire qu’on vous fait payer de plus en plus cher, ça s’appelle le surendettement. Les familles le connaissent, les associations le connaissent, les entreprises le connaissent et c’est un mal qui menace votre survie. » Un exemple qui en dit long sur l’irresponsabilité budgétaire des macronistes depuis 2017. 

« Nous sommes irresponsables devant nos enfants »

François Bayrou

Vous culpabilisez ? Pas François Bayrou. Après avoir minimisé durant des dizaines d’années les  graves maltraitances d’écoliers survenues à l’école Bétharram, le premier ministre s’affiche en protecteur des enfants : « Si nous ne décidons pas de nous ressaisir, alors c’est que nous sommes irresponsables devant nos enfants. Ce que je refuse, pas seulement par principe, mais parce que c’est complètement immoral. »  

Nous « ressaisir » ? En cessant de multiplier les cadeaux fiscaux aux plus riches ? En cessant de faire payer ses assistants parlementaires par l’Europe ? En diminuant le train de vie de l’Etat ?  En annulant de grands travaux contestables qui détruisent la planète, comme l’Autoroute A69, récemment jugée illégale par la justice administrative ? 

Que nenni. Pour François Bayrou, il faudrait « produire toujours davantage ». C’est ce qu’il explique dans une seconde vidéo, datée du 6 août : « La France est dans cette impasse et cette menace de surendettement parce qu’elle produit moins que ses voisins. Si on prend les chiffres précis, elle produit entre 10 et 15% de moins par habitant que ses voisins. » 

De quoi convaincre les internautes ? Pas vraiment. « Bonjour, c’est ici, la chaîne Youtube où on nous prend pour des cons ? » Demande @lepageeric6689. « C’est quand même la seule vidéo Youtube ou on est dégoutés quand les pubs se terminent », tâcle EmilieWolf. « Pour ceux qui se sont endormis avant la fin, voici un résumé : il suffit (1) qu’on laisse les entreprises réécrire le code du travail, (2) qu’on supprime les jours fériés, (3) qu’on force les jeunes à accepter des jobs pourris, et PAF ! ça fera augmenter de 10-15% la fortune des ultra-riches… euh, je voulais dire ça fera augmenter le salaire des Français. » moque à sa façon @baldricoutremer.

Sur fonds d’incendies… la dette

Le 7 août, changement de décor ! François nous parle depuis un train. Pas le train de ses vacances, non. Pour son troisième « échange avec les Français », le « Oui-oui de Matignon » se filme entre l’Aude où il est allé voir les incendies et Rochefort où il va célébrer le 50e anniversaire du Conservatoire du littoral.

Sur fond de France qui brûle (plus de 35 000 hectares partis en fumée depuis début 2025 selon l’Institut Copernicus), on s’attendait à tout de la part de notre premier ministre tout-terrain, peut être même à ce qu’il se préoccupe de l’état de la planète, mais sûrement pas à cette nouvelle comparaison : « Au fond, toutes les sociétés sont concernées par ces adaptations à des changements qui sont inéluctables (il fait référence aux catastrophes climatiques). Et puis nous avons un deuxième changement qui est inéluctable, nous en parlons depuis le début de la semaine, c’est l’adaptation aux risques que nous rencontrons désormais qui sont les risques de surendettement et aussi les risques de fracture dans la société. » Décidément, il retombe toujours sur ses pattes ! 

« Demandez vous ce que vous pouvez faire pour votre pays »

François Bayrou citant John Fitzgerald Kennedy

Dans le quatrième épisode de son feuilleton « FB Direct », l’hôte de Matignon met (un peu) la dette de côté pour clarifier son ambition avec son nouveau format Youtube, manifestement incompris. Peut-être que les quelques milliers de commentaires peu amènes sous les précédentes vidéos y sont pour quelque chose ? Pour remobiliser les  troupes, le premier ministre s’appuie sur une célèbre sortie de John Fitzgerald Kennedy : « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. » À bon entendeur…

Près de quatre semaines après que Sophie Binet, directrice générale de la CGT, ait appelé le 15 juillet sur France 2 à se mobiliser contre son projet de faire économiser 40 milliards par an aux citoyens… il lui répondait enfin via Youtube, contestant tout « passage en force ». Pas sûr que cela suffise à calmer les millions de citoyens qui appellent sur les réseaux sociaux à « bloquer la France » le 10 septembre prochain. 

Dans un sixième épisode, daté du 14 août, se sentant peut être un peu seul sur sa chaîne Youtube (seulement 8680 abonnés contre 26,9 millions pour le très bodybuildé Tibo Inshape, premier youtubeur de France), François Bayrou tente le tout pour le tout. Il propose carrément aux « Français » (les étrangers qui payent des impôts ne l’intéressent pas, apparemment) de lui écrire directement, pour poser des questions ou faire des suggestions, en passant soit par l’application Agora, soit par une adresse mail dédiée. Prudent, le premier ministre prévient en revanche qu’il ne « répondra pas aux injures »

«  C’est incroyable qu’avec d’aussi grandes oreilles, il n’arrive pas à écouter le peuple »

Un internaute

Pourtant, depuis le 5 août, près de 25 000 internautes avaient déja pris la peine de lui écrire. Enfin… d’essayer de se faire entendre. Sans obtenir la moindre réponse. D’emblée, @jean-mariebonnet8627 s’était montré très clair : « Nous ne voulons pas de canal de communication directe, nous voulons une démocratie directe. » « Grâce à votre discours, j’ai enfin compris la différence entre parler et vraiment ne rien dire », cingle un autre internaute. Et pas sûr que l’argument du surendettement de l’Etat fasse mouche : « Heureusement que les Français gèrent mieux leur budget. Moi avec un smic, j’arrive à faire fonctionner ma famille. Tu veux des conseils ? Je vais t’expliquer la vraie vie. » l’apostrophe par exemple @rozennc1719. « C’est incroyable qu’avec d’aussi grandes oreilles il n’arrive pas à écouter le peuple » ironise @gailuron76, qui cumule 2200 likes avec son commentaire, plus que la vidéo elle-même. « Si vous pouviez dégager et emmener avec vous ce qui nous reste de président, ce serait déja un grand pas en avant », lui inflige un autre internaute.

Le 10 septembre, futur « jour férié »?

Certains internautes flirtent avec l’insolence, comme @eleacampagne4115 : « J’en suis au point où la pub sur les plantes sauvages comestibles est plus intéressante » ou @monsieurm3418 : « Selon Youtube, il est classé dans la rubrique « bruits de fonds » ». « François ne répond à personne, tâcle @SAM-ge5nj. C’est un truc de dingue, cela veut dire qu’il n’en a rien à foutre ». 

Alors que le premier ministre dit redouter « les risques de fracture dans la société », les  quelques 25 000 internautes qui commentent ses vidéos donnent plutôt l’impression d’être unis : « Je ne sais pas qui est ce jeune Youtubeur plein de talent qui a réussi à agréger aussi vite une communauté aussi unanime dans la détestation de ses idées, mais c’est du génie! », rigole @tomg138. « Je n’ai même pas écouté ce que vous dites, lui explique @gilemis01. Je suis venu me remonter le moral avec les commentaires. Cela fait plaisir de voir que l’on pense tous la même chose. Je vais passer une journée sereine. Rendez-vous le 10/9 » (Une référence à la date de mobilisation nationale prévue à la rentrée, ndlr). « Je voulais posté un commentaire pour exprimé ma haine mon dégout mais tous est dis, complète @AlexD12_12.. Alors juste merci le peuple que la force soit avec nous. »  

D’autres surfent sur l’actualité avec humour, comme @philippemoulin5418 qui propose : « Faisons que le 10 septembre devienne un jour férié comme le 14 juillet ». Un clin d’œil à la suggestion du Premier ministre de supprimer le lundi de Pâques et le 8 mai…

Contactés via la plateforme Agora et par mail pour savoir s’ils avaient repéré sur Youtube un quelconque commentaire favorable à François Bayrou depuis le 5 aout, les services du premier ministre ne nous avaient pas répondu à la publication de cet article. Dialogue de sourds, quand tu nous tiens…