« En off » avec Lumi
Centres de rétention administrative : les prisons secrètes

Les centres de rétention administrative (CRA) sont destinés à héberger temporairement des personnes en situation irrégulière en passe d’être expulsées. Dans son dernier épisode « En off », Lumi explore les dessous de ces centres qui occupent une place préoccupante dans le débat public.

Comme l’a rapporté Mediapart le 12 mai, les sénateurs ont voté le jour même (227 voix pour, 113 contre) une loi soutenue par Bruno Retailleau pour expulser les structures associatives des centres de rétention administrative. C’est désormais au tour de l’Assemblée nationale de s’emparer de ce projet de loi visant ces associations qui, pour l’heure, peuvent toujours se rendre dans les CRA, afin d’analyser la situation juridique des retenus, les conseiller sur les démarches à suivre, voire les aider à se mettre en relation avec un avocat.

Des centres implantés loin des regards

Mis en place sur décision du préfet, les CRA ont pour objectif officiel de préparer le départ à l’étranger de personnes sans titre de séjour ou en situation irrégulière menacés d’expulsion. Ces centres sont généralement situés dans des zones peu fréquentées – souvent à proximité d’aéroports ou dans des zones rurales – afin de limiter leur visibilité médiatique. Les retenus, comme on les appelle, sont privés de liberté, parfois pendant plusieurs semaines. Contrairement aux prisons, la rétention administrative n’est pas une peine pénale mais une mesure décidée par l’administration, généralement un préfet, dans le but d’organiser une expulsion. En 2024, environ 16 000 personnes étaient détenues dans l’Hexagone et plus de 24 000 en Outre-Mer (L’Humanité, 29 avril 2025).

C’est le cas notamment à Mayotte, où le régime dérogatoire spécifique semble favoriser une augmentation significative des chiffres, rapporte Outre-Mer la 1ère. Dans leur rapport annuel de 2023, des représentants d’associations spécialisées (La Cimade, France Terre d’Asile, Forum réfugiés, Groupe SOS, Solidarités Mayotte), expliquaient que ces chiffres seraient le reflet d’un dispositif administratif permettant un repérage facilité des personnes en situation irrégulière et une mise en rétention rapide dans le cadre des expulsions prévues.

Des conditions de vie sous le feu des critiques

Ces associations pointent également du doigt la détérioration de l’état psychologique des personnes retenues : certains témoignages font état de grèves de la faim, d’épisodes d’automutilation et, dans les cas les plus dramatiques, de suicides ou tentatives de suicides, souvent qualifiées par les autorités comme relevant de « simulacres ». Ces éléments, largement relayés dans le débat public et dans des rapports annuels (tel que celui publié par les cinq associations œuvrant sur le sujet), mettent en lumière les risques importants liés à l’enfermement prolongé dans ces centres.

Les témoignages recueillis par des journalistes tels que Le Média, le 6 octobre 2024, décrivent des situations dans lesquelles des personnes seraient, par exemple, immobilisées de manière brusque, privées d’informations sur leurs droits et parfois soumises à un processus d’expulsion précipité. L’enquête du Média fait état d’un environnement carcéral, marqué par l’isolement, le manque d’intimité, une insalubrité parfois dénoncée ainsi que des allégations de violences policières et de maltraitance, et des atteintes aux droits fondamentaux. Une partie des personnes enfermées l’est sur la base de suspicions ou de faits anciens, sans condamnation judiciaire. En pratique, ces centres peuvent revêtir une atmosphère carcérale, voire punitive, alors même que l’enfermement administratif n’est pas censé être une sanction. Des cas de maltraitance ont été documentés par Le Média, incluant des expulsions forcées dans des conditions violentes, parfois avec l’usage de scotch pour immobiliser les personnes.

L’un des aspects les plus controversés des CRA est également la présence d’enfants. Un documentaire de France Télévisions, « Enfants enfermés », diffusé en 2023, a mis en lumière les conséquences psychologiques graves que peuvent engendrer de telles situations. La France a été condamnée à onze reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir infligé des « traitements inhumains et dégradants » à des enfants en rétention.

Une politique soutenue par le gouvernement

L’institutionnalisation des centres de rétention administrative remonte aux politiques migratoires mises en place dès les années 1980, dans un contexte où la France cherchait à organiser la gestion des flux migratoires. Avant cette formalisation, des dispositifs plus informels – souvent qualifiés de centres de détention provisoire – avaient déjà été utilisés pour la rétention des personnes destinées à l’expulsion. Des ouvrages tels que « Le territoire de l’expulsion – La rétention administrative des étrangers et l’Etat de droit en France », de Nicolas Fischer, publié en 2017 aux éditions ENS, s’inscrivent dans ce débat en proposant une analyse juridique et historique d’un système « hérité des camps d’internements ».

Du côté des autorités, les représentants de l’État défendent le dispositif en rappelant que l’objectif des CRA est d’assurer, dans un cadre légal, le contrôle des flux migratoires et la préparation des expulsions. Des déclarations officielles, notamment celles du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, insistent sur la nécessité de renforcer la capacité de rétention et, parfois, d’en allonger la durée maximale. « Les gens qui sont aujourd’hui en CRA, ce sont des gens qui présentent aujourd’hui, croyez-moi, un certain nombre de dangers », assène Bruno Retailleau le 3 octobre 2024 sur RTL. Cette position s’appuie sur la thématique de sécurité que certains élus souhaitent insuffler à la population, malgré les critiques concernant l’utilisation de chiffres et la qualification des personnes concernées.

Le discours politique s’est durci ces dernières années. Bruno Retailleau, annonce en mai 2025 la création de trois nouveaux CRA et a évoqué l’allongement de la durée de rétention (BFMTV, 2 mai 2025). Il propose de traiter l’ensemble des retenus selon les standards appliqués aux personnes soupçonnées de terrorisme. Alors que de nouvelles lois sont débattues et que l’Europe elle-même interroge la compatibilité de certaines pratiques avec les droits humains, la question demeure : quelle société veut-on construire à travers la gestion des migrations, et à quel prix humain ?

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