Emploi fictif au Canard enchaîné : le procès reporté en l’absence d’accusés

Erik Emptaz
Erik Emptaz, actuel président du Canard enchaîné, au tribunal correctionnel de Paris, à Clichy, le 8 octobre 2024  | photographie Lalo Ponni

Le procès des ex-dirigeants du Canard enchaîné pour abus de biens sociaux a débuté le 8 octobre dans une petite salle perchée au dernier étage du Tribunal correctionnel de Paris. Mais, prévues sur quatre jours, les audiences ont finalement été renvoyées au 8 juillet 2025. Cette première partie du procès, à laquelle Off-investigation a assisté, n’aura finalement duré qu’à peine trois heures.

Après avoir révélé avec deux confrères l’affaire de l’emploi fictif de Pénélope Fillon (qui avait contribué à plomber la candidature de son mari, François Fillon, à la présidentielle de 2017), le journaliste Christophe Nobili a dévoilé en 2023 dans son livre « Cher Canard » (paru aux éditions JC Lattès) l’existence d’un nouvel emploi fictif, cette fois-ci dans son propre journal. Un scandale selon lequel l’ex-direction du célèbre palmipède aurait rémunéré Edith Vandendaele, épouse du dessinateur André Escaro, pendant pas moins de 26 ans, sans preuve de travail tangible. D’abord en tant que rédactrice en CDI à plein temps puis comme pigiste retraitée. Le préjudice financier est estimé à trois millions d’euros entre 1996 et 2022… Dans cette affaire, deux parties civiles se sont constituées tardivement : d’un côté six journalistes en tant qu’actionnaires du Canard et de l’autre, la SAS « Les Editions Maréchal Le Canard enchaîné ».

Un renvoi demandé en raison de l’absence des principaux concernés

Le 8 octobre, André Escaro et Edith Vandendaele, principaux concernés par ce procès, sont aux abonnés absents. La cause ? L’état de santé de l’ancien dessinateur, âgé de 96 ans, ne lui permettrait pas de se présenter à la barre et retiendrait également sa femme. 

Lors des discussions, la demande de renvoi du procès est l’un des premiers sujets évoqués. La défense, à l’origine de cette demande, souhaite une expertise médicale des deux prévenus absents avant une nouvelle audience. Les avocats Me Maria Cornaz Bassoli et Me Pierre-Olivier Lambert, représentants de Christophe Nobili et des six journalistes, se disent, eux, « hostiles au renvoi dilatoire ». 

Entre avocats qui s’interrompent et échanges de sourires narquois, Me Leick, avocat de la SAS Les Editions Maréchal le Canard enchaîné, prend la parole afin d’exposer le point de vue des dirigeants actuels. Précisant ne pas être demandeur de ce renvoi, il affirme : « Ce n’est pas dilatoire, c’est humain. » Autrement dit, le renvoi ne serait pas destiné à faire gagner du temps mais simplement à éviter à la femme du dessinateur de choisir « entre venir à son procès ou tenir la main de son mari ». Après plus d’une heure de délibérations, le tribunal rend sa décision : le procès est renvoyé au 8 juillet 2025 avec ordonnance d’une mesure d’expertise médicale pour M. Escaro et Mme Vandendaele en amont. 

Trop de lecteurs nous abandonnent, non par parce qu’il y a eu une affaire mais parce qu’ils ont le sentiment que le Canard soutient cette affaire

Christophe Nobili, journaliste au Canard enchaîné

Trop de lecteurs nous abandonnent, non par parce qu’il y a eu une affaire mais parce qu’ils ont le sentiment que le Canard soutient cette affaire

Christophe Nobili, journaliste au Canard enchaîné

Cette décision ne surprend pas. Du côté de l’actuelle direction, c’est une « décision logique » du tribunal qui « s’est rangé dans le bon sens », décrit Me Leick qui précise que « l’on ne peut pas juger les absents surtout quand il s’agit de prévenus centraux ». Anne-Sophie Mercier, une des six journalistes constituée en partie civile aux côtés de Christophe Nobili, relève que « c’est long d’attendre mais c’est bien, pour ne pas qu’il y ait d’erreur de procédure ».

Du côté du principal plaignant, Christophe Nobili, pas de surprise non plus. Une part de frustration se soulève tout de même. « Ce que je déplore, c’est l’attitude de la direction du Canard qui fait semblant d’être partie civile alors qu’en fait elle défend Messieurs Gaillard et Brimo. Je déplore que cette direction ne soit pas capable de clarifier sa position, ce qui fait qu’aujourd’hui encore, trop de lecteurs nous abandonnent, non par parce qu’il y a eu une affaire mais parce qu’ils ont le sentiment que le Canard soutient cette affaire », regrette-t-il auprès d’Off-investigation.

Quelle crédibilité peut avoir Le Canard lorsque ses enquêteurs dénoncent à tout-va des emplois fictifs alors que ses patrons soutiennent leurs prédécesseurs poursuivis pour les mêmes faits ?

La section SNJ CGT du Canard enchaîné

Au lendemain du renvoi, la section SNJ CGT du Canard enchaîné a réagi dans un communiqué où elle a estimé que « plutôt que de défendre l’intérêt social du Canard Enchaîné, la direction du journal satirique a une nouvelle fois préféré défendre ouvertement ses anciens dirigeants ». « Quelle crédibilité peut avoir Le Canard lorsque ses enquêteurs dénoncent à tout-va des emplois fictifs alors que ses patrons soutiennent leurs prédécesseurs poursuivis pour les mêmes faits ? », interroge notamment l’organisation syndicale dans son texte qu’Off-investigation met ci-dessous à disposition de ses lecteurs.

Une ambiance délétère au sein du Canard

Le Canard enchaîné, présidé par Erik Emptaz, a plusieurs fois tenté de licencier Christophe Nobili à la suite de la sortie de son livre « Cher Canard ». Ces demandes ont été refusées par l’inspection du travail considérant qu’il n’y avait pas d’infraction. Le journaliste continue d’exercer son métier, malgré les tensions internes, au sein d’un hebdomadaire auquel il tient.

« Dans la presse, c’est le Canard au tribunal, le Canard dans le prétoire… Non. Ce n’est pas le Canard. Ce sont des personnes qui ont dévoyé l’image du Canard et qui dévoient ses principes et valeurs. Moi je veux qu’on fasse la distinction entre ces gens-là qui sont dans le box des accusés et les autres journalistes qui eux défendent les principes de ce journal », explique le journaliste.

Ouverte il y a plus de deux ans, l’enquête contient, selon Christophe Nobili, « toutes les preuves du paiement de Madame Escaro” sans que les anciens dirigeants n’aient “apporté la moindre trace, la moindre preuve de travail ». Cette affaire, qui concerne des ex-dirigeants vieillissant, ne sera donc pas jugée avant 2025. 

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