C’est le dernier carton sur X (ex-Twitter) : une parodie de l’émission « L’Heure des pro » de Pascal Praud (CNEWS). Egalement publiée sur Youtube ce 23 novembre, cette vidéo désopilante réalisée par l’humoriste Malik Bentalha a généré en une semaine plus de 3 millions de vues sur YouTube et près de 33 millions d’impressions sur X. Multipliant les références à la très réac’ émission quotidienne de CNEWS, la parodie rebaptisée « L’Heure de trop » met en scène les clichés racistes véhiculés par les médias de Vincent Bolloré.
En 2020, c’était l’humoriste Julien Cazarre (aujourd’hui sur RMC Sport) qui s’était déjà essayé à l’exercice périlleux de parodier Pascal Praud, le célèbre animateur de CNews et son émission “L’heure des pros”. Dans son pastiche, Sébastien Thoen interprétait Lionel Messiha, une caricature de Jean Messiha, un chroniqueur politique de CNews proche d’Éric Zemmour. Le duo se moquait déjà du ton “beauf réac’” de l’émission. Mais à l’époque, Sébastien Thoen, alors employé par Canal+, (chaîne appartenant au même groupe que CNews) avait été sommairement licencié.
Sketch « Les Sopronos » (Winamax News), Julien Cazarre, novembre 2020. Trois ans plus tard, l’humour reprend le pas, avec le sketch de Malik Bentalha. L’acteur Matthias Van Khache y interprète avec précision et provocation, les expressions de l’animateur vedette Pascal Praud (rebaptisé Patrick Trau). Au programme, trois débats (stériles) : « La djellaba, est-elle un vêtement religieux ?” “Un policier attaqué dans un lycée : faut-il interdire les élèves ?” et “Le conflit israélo-palestinien”.
« Pour un islam sans les arabes »
Sur des airs de “Les lacs du Connemara”, la chanson renommée de Michel Sardou, Patrick Trau attaque : « Rien de tel qu’une musique entrainante pour commencer l’émission, n’en déplaise aux fâcheux. » En plateau : Larsen Harbouni, un “imam de Nancy” visiblement inspiré de Hassen Chalghoumi, le célèbre imam de Drancy connu pour sa propension à vénérer la République et sa laïcité. Interprété par Malik Bentalha lui-même, cet imam “bleu-blanc-rouge” est bardé de titres improbables : « président d’honneur de la confédération des imams de France, docteur en théologie musulmane, chercheur au CNRS, grand donateur pour l’association “un couscous, tous pour un » il est aussi « double médaillé olympique d’Islam » et auteur du roman à succès : « Pour un islam sans les Arabes » Une façon de se moquer du livre de Chalghoumi, « Libérons l’Islam de l’islamisme » (Hugo doc, Paris, 2022)
Parodie « L’heure de trop », Malik Bentalha, 23 novembre 2023
L’imam Harbouni est un fier républicain français. Dès que CNews lui donne la parole, il s’empresse de demander : « Est ce que je peux chanter la marseillaise ? Non ! » le coupe Patrick Trau « On a pas le temps ! ». L’imam exprime ensuite son amour pour Emmanuel Macron : « Je voudrais faire un gros bisou au président de la République que je l’aime beaucoup avec ses ministre qui se bagarrent tous les jours contre l’abstentiracisme, l’abscorentisme… » Maitrisant mal le français, cet imam maghrebin caricatural mais vénéré par tous les intégristes laïcs, s’oppose à un autre invité, l’intellectuel musulman Abdelkader Ziani. Présenté succinctement dans le bandeau comme « un Arabe » (!) ce spécialiste de l’islam qu’une autre invité appelle “Mouloud”, est, lui, un vrai expert. Patrick Trau le présente comme « professeur en sciences islamiques à Harvard reconnu internationalement pour son action en faveur d’un islam de paix. » L’animateur de CNews ajoute qu’il a été « classé en 2018, par le New York Times parmi les 5 personnalités les plus influentes du monde musulman. »
Sur « La djellaba est-elle un vêtement religieux ? », Abdelkader Ziani rappelle : « L’interdiction de la djellaba prouve une fois de plus, que la France n’assume plus son principe de laïcité. Dans un état laïc, les élèves devraient pouvoir aller à l’école publique vêtue de jeans, de robes ou djellaba sans être dérangés par l’état.” (…) “Le conseil d’état, en son avis 832-456 datant du 27 novembre 1989, a décidé que la djellaba n’est pas un vêtement religieux et qu’il était totalement compatible avec le principe de laïcité. »
« Vous dites n’importe quoi ! »
Patrick Trau à Abdelkader Ziani, qui lui cite un arrêt du Conseil d’Etat
En plateau, la précision du propos fait mouche. Mais après quelques secondes de silence, le naturel de Patrick Trau revient au galop : « Vous dîtes n’importe quoi » assène-t-il à plusieurs reprises à son invité musulman qui a le tort de trop bien connaître la loi. L’imam Harbouni, renchérit : « Ça, c’est l’islam qu’on n’aime pas ça, c’est l’islam qui fait peur. » Sur la question de la djellaba, l’imam “bleu-blanc-rouge” adoré des plateaux islamophobes est toujours aussi confus : « Pour ça notre pays, nous, Clovis de l’école, aller en djellaba derrière une twingo, non, c’est le monde à l’envers. » En plateau, personne n’y comprend rien, mais tout le monde approuve bruyamment.
Notamment la polémiste Viviane Bouchard. Présentée comme « Ancienne directrice du cabinet de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, directrice d’un cabinet dentaire dans le VIe (arrondissement, ndlr) créatrice du magazine Bleu, Blanc, Rouge », elle rappelle furieusement Élisabeth Lévy, la fondatrice et directrice de la rédaction du magazine d’extrême-droite Causeur. Arborant un flacon de gnole, elle défend d’une voix rocailleuse des positions souvent radicales à propos de la Djellaba : « J’ai peur pour l’avenir de mes enfants parce qu’après ça va être quoi ? On égorgera des moutons dans la rue ? » Comme si elle connaissait l’islam, elle ajoute : « Je n’invente rien si je dis que c’est écrit dans le Coran, que les non musulmans seront à terme exterminés, de manière définitive. »
« Grosses babouches pleines de sables mouvants »
Quand Abdelkader Ziani, le spécialiste de l’islam, lui demande si elle a réellement lu le Coran… elle l’attaque : « Je vous vois venir avec vos grosses babouches pleines de sables mouvants, et bah non, je ne l’ai pas lu, mais quel rapport avec le débat ? »
À ses côtés, un multi-condamné, Jimmy Di Canio. Ancien combattant pro-Serbes, c’est l’archétype du militant d’extrême droite négationniste, présenté par Patrick Trau comme un « membre-fondateur du groupuscule génération Martel et du parti politique Ma douce France. » Pour le débat sur la djellaba, sa position est claire : « Est-ce qu’il y a des chameaux dans Paris ? – Non. Est-ce qu’on est dans le désert à Paris ? -Non. Alors pourquoi on mettrait des djellabas ? » Ce à quoi l’animateur vedette de CNews répond : « Force est de constater que Jimmy marque un point. » Une partialité hilarante dont Patrick Trau va faire preuve tout au long du débat.
Abdelkader Ziani, lui, voit tous ses propos constamment ignorés ou déformés. Ainsi quand Patrick Trau lui demande : « Condamnez-vous le Hamas ? » (une dizaine de fois de suite), on le surprend en train de répondre : « Oui, je condamne les actions du Hamas, que les choses soient bien claires. ».
Ce à quoi l’animateur de CNews réplique : « Prouvez-le ! (…) je ne vous sens pas sincère dans votre condamnation quand je vous regarde. » Ziani précise : « Je condamne les actions du Hamas, mais je condamne aussi les actions du gouvernement israélien, qui bombarde des civils palestiniens. » Furieux, Patrick Trau réplique : « Mais c’est fou de répondre à côté comme ça systématiquement, d’être aussi ambiguë et flou (…) c’est à cause de cela qu’il y a la terreur en France, c’est à cause de ça qu’il y a des punaises de lits. » Un clin d’œil à la récente sortie de route de Pascal Praud, qui avait associé les punaises de lits à la montée de l’immigration en France.
Pascal Praud, attribuant les punaises de lit aux immigrés sur CNews, le 29 septembre 2023
Mépris des intellectuels musulmans
Mépris des intellectuels musulmans, chroniqueurs ignorant tout de l’islam, surreprésentation d’imams à la légitimité faible, voire inexistante, toute la caricature de la chaîne d’extrême droite de Vincent Bolloré était ainsi résumée dans cette brillante parodie signée Malik Bentalha.
Suite au succès qu’elle a rencontré sur les réseaux sociaux, les principaux visés se sont fait entendre. Sur X, l’imam Chalghoumi a tweeté : « Cette parodie m’a fait rire ! Parce que je suis Charles ! Mais certaines réactions montrent que ses auteurs avaient d’autres intentions aussi. »
Dans un article publié le 24 novembre, le journal Causeur d’Élisabeth Levy (également chroniqueuse à CNews) condamne sévèrement la parodie dans ces termes : « En suggérant que le profil type du musulman en 2023 est un personnage acquis aux valeurs libérales, ce sketch verse dans un gros mensonge et une vaste imposture sous couvert d’humour. (..) Bref (un sketch) bien fait sur la forme, mais qui, sur le fond, servira de pièce à conviction dans le musée de la lâcheté et de la collaboration.. »
Quant à l’inénarrable Pascal Praud, il est sorti du silence dans Le Parisien du 25 novembre : « Le début, avec la chanson de Sardou, ça m’a fait marrer. (…) Le reste, c’est caricatural mais honnêtement ce n’est pas méchant. Être parodié, c’est la rançon du succès. On ne caricature pas ce qui n’existe pas. Après, comme toujours, je regrette la sur instrumentalisation de ce sketch sur les réseaux sociaux…» . Et l’animateur de CNews de conclure : « On me fait passer pour un réac alors que je suis plutôt anar. »
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