
Début février, Mediapart a révélé comment François Bayrou a cherché à protéger l’établissement catholique de Betharram (Béarn), désormais ciblé par plus de 150 plaintes pour violences physiques et sexuelles commises sur d’anciens élèves. Malgré les témoignages qui s’accumulent contre lui, le Premier ministre nie toujours avoir été alerté de ce scandale.
François Bayrou a longtemps privilégié le silence face aux révélations de violences physiques et sexuelles perpétrées dans le collège-lycée catholique de Betharram (Pyrénées-Atlantiques). Mais depuis un mois, le Premier ministre est confronté à de nouveaux témoignages selon lesquels il aurait été informé, à plusieurs reprises, de ce scandale visant l’établissement où il a scolarisé ses propres enfants. Contraint de sortir de son mutisme, le chef du gouvernement nie en bloc.
Alors que les signalements de deux députés LFI visant à saisir la Cour de justice de la République viennent d’être classés sans suite par le procureur de Paris Rémy Heitz (Le Monde, 3 mars), le Premier ministre est désormais visé par la plainte d’un ancien élève de Bétharram pour « non-dénonciation de crimes et délits »…
“François Bayrou a fait le choix du ‘pas de vagues’” Un Landais victime de l’affaire Bétharram dépose plainte contre François Bayrou pour “non-dénonciation de crimes et délits”. Il dit avoir assisté à une scène de violence en présence de la fille de l'actuel Premier ministre.
— Cellule investigation de Radio France (@investigationrf.bsky.social) 24 février 2025 à 18:52
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5 février : L’indulgence de Bayrou envers Betharram
Le 5 février 2025, Mediapart révèle « les mensonges de Bayrou pour défendre une institution catholique », soulignant que le collège de Betharram est alors visé par plus d’une centaine de plaintes d’anciens pensionnaires (à l’heure où nous écrivons ces lignes, on compte plus de 150 plaintes pour violences physiques, agressions sexuelles et viols). Les faits s’étalent sur une vaste période des années 1950 à 2010, et couvrent différents mandats de François Bayrou, en tant que maire de Pau, président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques ou encore ministre de l’Éducation nationale.
Dans cet article, le site d’investigation explique avoir recueilli plusieurs témoignages mettant à mal des propos que François Bayrou avait tenus au Parisien, en mars 2024 : « C’est vrai que la rumeur, il y a 25 ans, laissait entendre qu’il y avait eu des claques à l’internat. Mais de risques sexuels, je n’avais jamais entendu parler. »
« François Bayrou ne pouvait ignorer les accusations qui pesaient déjà sur l’établissement à la fin des années 1990, démontre Mediapart, témoignages à l’appui. Il a même rencontré le juge saisi d’une affaire de violences sexuelles en 1998. Des parents d’élèves et une enseignante disent aussi l’avoir alerté à au moins trois reprises. Deux ans plus tôt, en 1996 donc, il s’était aussi rendu, en tant que ministre de l’éducation, dans les locaux de Bétharram pour soutenir l’établissement à la suite de la plainte d’un parent d’élève. »
Viols sur mineurs à Bétharram: les mensonges de Bayrou pour défendre une institution catholique Par David Perrotin, Antton Rouget https://www.mediapart.fr/journal/france/050225/viols-sur-mineurs-betharram-les-mensonges-de-bayrou-pour-defendre-une-institution-catholique?at_medium=rs-cm&at_campaign…
— Mediapart (@mediapart.fr) 5 février 2025 à 09:47
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11 février : À l’Assemblée nationale, Bayrou dément
Interrogé par Paul Vannier, député LFI du Val d’Oise, sur les viols et les agressions sexuelles commises à Bétharram, François Bayrou nie en bloc avoir été informé « de quoi que ce soit de violences, ou de violences a fortiori sexuelles », en 1996, en 1998 ou à tout autre moment. Il ajoute que son mandat au ministère de l’Éducation était déjà terminé lorsque la première plainte contre l’établissement fut déposée : « Lorsque la première plainte est déposée, j’ai quitté déjà le ministère de l’Éducation nationale depuis des mois, puisque [cette plainte date de] décembre 1997-1998 et que j’ai quitté le ministère en mai 1997 ».
Ecole Notre-Dame de Bétharram : "J'affirme que je n'ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences, ou de violences a fortiori sexuelles", ajoute François @Bayrou.
— LCP (@LCP) February 11, 2025
"Une plainte en diffamation sera évidemment portée."#DirectAN #QAG cc @Mediapart pic.twitter.com/hUWBpvX3SN
Le soir même, Mediapart publie un nouvel article, « Bayrou a menti », dans lequel il est expliqué que le Premier ministre énonce des contre-vérités lorsqu’il affirme « avoir quitté le ministère de l’éducation nationale depuis des mois » au moment de la première plainte. « C’est faux. La première condamnation d’un surveillant général pour des faits de violences date de juin 1996, à une période où le Béarnais était donc bien au gouvernement », explique le média d’investigation qui rappelle d’ailleurs que François Bayrou avait à l’époque fait référence à cette première plainte et défendu Bétharram, auprès du journal Sud Ouest, en ces termes : « Nombreux sont les Béarnais qui ont ressenti ces attaques [contre Bétharram] avec un sentiment douloureux et un sentiment d’injustice. »
Mediapart nous apprend en outre qu’une victime, reconnue comme telle par l’Église et indemnisée en conséquence, avait envoyé en mars 2024 un courrier pour informer François Bayrou d’agressions sexuelles subies lors de son passage à Bétharram. Comme le révèle le média en ligne, un accusé de réception du courrier en question prouve la remise du document à l’actuel premier ministre, le 20 mars 2024.
12 février : Darmanin au secours de Bayrou
A l’Assemblée nationale, le ministre de la Justice Gérald Darmanin accuse la gauche de « jeux politiciens » et vole au secours du chef du gouvernement. « Je regrette la honte qui consiste à utiliser ces faits pour régler vos comptes politiques. Des plaintes et des signalements ont été adressés au procureur de la République de Pau depuis parfois des temps très anciens. Je le laisserai faire le point sur l’action publique », déclare le 12 février le garde des sceaux dans l’Hémicycle. Et c’est cette fois au tour du député écologiste Arnaud Bonnet d’interpeller François Bayrou sur le scandale Bétharram. Le principal intéressé répète alors : « Jamais, je n’ai été, à cette époque, averti en quoi que ce soit des faits qui ont donné lieu à des plaintes ou des signalements ». Interrogé par Le Monde l’après-midi, François Bayrou dénonce « un faux scandale avec absence totale de preuves ».
On a rarement vu un responsable politique mentir de la sorte. Bayrou nie encore tout dans Le Monde alors qu'il y a -des archives -des témoignages -les affirmations d'un juge -sa qui femme enseignait le caté à Bétharram et qui était aux obsèques du prêtre mis en cause www.lemonde.fr/politique/ar…
— David Perrotin (@davidperrotin.bsky.social) 13 février 2025 à 08:36
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Une nouvelle fois, Mediapart contredit le Premier ministre. Le soir même, le site d’investigation publie un entretien avec Christian Mirande, le juge d’instruction qui enquêtait en 1998 sur le père Carricart, directeur de Bétharram, accusé d’avoir violé deux élèves. Christian Mirande soutient les mêmes propos que dans un premier article du Monde publié en mars 2024 : il rappelle qu’au moment de la mise en examen de l’ancien directeur de Betharram, François Bayrou était venu le voir de manière informelle. « Il est venu me parler toute une après-midi de cette affaire, au début de la procédure, de façon feutrée. Il n’arrivait pas à croire que Carricart ait pu avoir un tel comportement déviant. Pour lui, c’était un honnête homme. Il s’inquiétait au regard de la présence de son fils dans l’établissement ». Des propos démentis par François Bayrou, qui assurait ne pas connaître le père Carricart, « si ce n’est peut-être de vue ». Au micro de Mediapart, le juge d’instruction s’interroge face aux réactions de Bayrou : « A-t-il oublié notre rencontre ou ment-il ? »
Le juge saisi des viols à Betharram: «En 1998, j’ai confirmé à François Bayrou que les faits étaient patents et établis» Par David Perrotin, Antton Rouget
— Mediapart (@mediapart.fr) 12 février 2025 à 23:02
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14 février : de nouvelles archives contredisent Bayrou
Dans un quatrième article, Mediapart ressort des archives de la presse quotidienne régionale et de journaux télévisés de 1996. Ces archives montrent que Bayrou ne pouvait pas ne pas être au courant des accusations portées contre l’établissement catholique qui scolarisait ses enfants et employait son épouse, vu l’ampleur du scandale et sa couverture médiatique. Pire, le 11 avril 1996, La République des Pyrénées soulignait déjà le silence du ministre de l’Éducation de l’époque : « De François Bayrou au père Vincent Landel [directeur de l’établissement – ndlr], personne ne veut aujourd’hui réagir à la polémique qui éclabousse le collège Notre-Dame-de-Bétharram. »
Le 14 février dernier, toujours, Le Figaro publie un rapport de l’inspection académique sur Bétharram commandé par l’Éducation nationale en 1996, à la suite d’une plainte déposée pour « violence physique » par un parent d’élève. Dans ce rapport, l’inspecteur pédagogique ne relève rien d’anormal dans l’établissement : « Par un concours malheureux de circonstances, cet établissement vient de connaître des moments difficiles ». Dans la foulée, La République des Pyrénées recueille la réaction d’un Bayrou qui se dit « soulagé » et espère que le rapport éteindra la polémique. On apprendra cependant le 19 février 2025 que l’inspecteur pédagogique régional qui a signé ce rapport en 1996 n’avait à l’époque pas cherché « à savoir ce qui se passait » : « J’ai fait un rapport qui ne tient pas la route actuellement », confie-t-il désormais à Radio France.
Affaire Bétharram : "J'ai fait un rapport qui ne tient pas la route actuellement", témoigne l’inspecteur d’académie qui avait écarté les violences en 1996 https://t.co/mPYlZAWgY4
— Edwy Plenel (@edwyplenel) February 19, 2025
15 février : Bayrou rencontre le collectif des victimes de Bétharram
Trois heures durant, le Premier ministre s’entretient avec une délégation du collectif des victimes de Bétharram, à l’origine des nombreuses plaintes déposées contre l’établissement. Cet entretien est qualifié d’« immense victoire » pour l’association, alors que François Bayrou répète une énième fois n’avoir été « au courant de rien » si ce n’est des « gifles » données à des élèves dans les années 1990. Il avoue pour la première fois avoir bien échangé avec le juge Mirande, contrairement à ses précédentes déclarations, en précisant avoir évoqué l’affaire de manière fortuite, puisque le chargé d’enquête était son « voisin ».
Violences à Notre-Dame de Bétharram : ce qu'il faut retenir de la rencontre entre François Bayrou et le collectif de victimeshttps://t.co/xwAVgUdUJa
— franceinfo (@franceinfo) February 15, 2025
16 février : le témoignage d’un gendarme chargé de l’enquête de 1998
Dans son émission « sept à huit », TF1 dévoile le témoignage de Alain Hontang, un gendarme chargé de l’enquête sur le père Carricart. Il révèle avoir entendu parler de François Bayrou juste avant de présenter l’ancien directeur accusé de viol sur mineur au juge Christian Mirande : « Le juge Mirande me dit qu’il y a un problème, que la présentation va être retardée, que le procureur général demande à voir le dossier et que Monsieur Bayrou est intervenu auprès du procureur général qui demande à voir le dossier ». Contacté par la chaîne, Christian Mirande n’a pas été en mesure de confirmer la déclaration d’Alain Hontang : « Je dois dire, avec le temps et le recul, que je n’ai vraiment pas le souvenir qu’on m’ait dit que Monsieur Bayrou était intervenu. Vraiment, je ne me souviens pas. »
Auprès du journal Sud Ouest, François Bayrou fustige pour sa part « des fantasmes purs et simples » au sujet de sa possible intervention dans l’enquête de 1998. Il assure n’avoir jamais appelé le procureur général comme l’avance le gendarme. En réaction à la déclaration du gendarme, l’élu EELV de Pau et avocat Jean-François Blanco annonce demander l’ouverture d’une enquête pour « entrave à la justice » visant François Bayrou. La plainte a été déposée le lendemain auprès du parquet général de Pau (Le Monde).
18 février : Bayrou accuse le gouvernement Jospin d’avoir été « informé de l’affaire »
De nouveau interpellé dans l’Hémicycle sur l’affaire Betharram lors des questions au gouvernement, François Bayrou affirme que le procureur général avait « tenu informé à quatre reprises, dans l’année 1998 », la ministre de la Justice de l’époque, Élisabeth Guigou. Le Premier ministre enfonce ensuite le clou : « Si je ne savais pas, d’autres savaient », en référence au ministre de l’Éducation nationale de 1998 Claude Allègre, et à la ministre de l’Enseignement scolaire Ségolène Royal.
🔴 #Bétharram : "Si je ne savais pas, d'autres savaient. J'affirme que le Procureur général, lui, a tenu informé la chancellerie sur ces affaires".
— franceinfo (@franceinfo) February 18, 2025
Interpellé à l'Assemblée, François @bayrou cible la responsabilité du gouvernement Jospin. pic.twitter.com/qa326Lc9Iw
Le même jour, l’AFP révèle trois signalements adressés à Élisabeth Guigou entre 1998 et 2000, alertant d’une possible affaire de grande ampleur à Betharram. Un premier signalement a été lancé le 15 juin 1998 par le procureur général de Pau, alors que le ministère de l’Éducation est aux mains de Claude Allègre. Le procureur Dominique Rousseau fait référence à une conversation téléphonique du 26 mai 1998 sur le même sujet, et écrit à la ministre de la Justice pour lui rapporter l’affaire du père Carricart. Selon le procureur, si l’information ne portait pas sur les accusations d’une personne, « le plaignant a évoqué d’autres faits susceptibles d’avoir été commis par des enseignants, religieux, sur divers élèves ». Le 23 décembre 1998, un point d’étape est envoyé au ministère d’Élisabeth Guigou, annonçant qu’une « commission rogatoire est en cours pour entendre de nombreux anciens élèves de l’établissement ». Enfin, le 8 février 2000, Dominique Rousseau informe la ministre de la Justice que les derniers éléments de l’enquête sont « susceptibles de redonner un certain impact médiatique local, voire national » à l’affaire.
Dans une déclaration à l’AFP, l’ancienne ministre de la Justice crie à la « misérable polémique politicienne », en assurant que le gouvernement Jospin avait « fait son travail et l’institution judiciaire a fait le sien, en toute indépendance » (Le Monde). Ségolène Royal a répondu aux « dénonciations calomnieuses » de François Bayrou sur X en rappelant ses instructions prises à l’époque pour protéger les enfants.
Scandalisée par les attaques du P.M, voici mes instructions données dès août 1997pour lever la loi du silence et protéger les enfants. J’envisage une action en dénonciation calomnieuse Circulaire n° 97-175 : Instruction concernant les violences sexuelles. https://t.co/1CNCe89CVV
— Ségolène Royal (@RoyalSegolene) February 18, 2025
Le 4 mars, soit quasiment un mois jour pour jour après l’article de Mediapart qui a mis le feu aux poudres, la congrégation des pères de Bétharram, qui a longtemps dirigé cet établissement catholique, a reconnu sa « responsabilité » et annoncé la création d’une « commission d’enquête indépendante ». « Pour aboutir à une position commune irrévocable, il nous a fallu du temps », a confié à l’AFP le prêtre Laurent Bacho, 75 ans et ancien vicaire régional des bétharramites.
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