Viols, l’impunité française ?
Comment les services de Gérald Darmanin découragent les victimes de porter plainte

Sophie Benard

Le 10 juillet 2020, des centaines de femmes défilent à Montpellier pour protester contre la nomination au ministère de l'intérieur de Gérald Darmanin, pourtant visé par une plainte pour viol, et contre des propos de Eric Dupond-Moretti, ministre de la justice, qui avait déclaré qu'au lieu de s'exprimer dans les médias ou sur les réseaux sociaux, #Meeto devrait " saisir les tribunaux ". (Photo Georges GOBET / AFP)

Condamnation de Jean-Marc Morandini à un an de prison avec sursis pour “corruption de mineurs”, placement en garde à vue du Youtubeur Norman Thavaud pour “viol” et “corruption de mineurs”, renvoi devant le tribunal correctionnel de Dominique Boutonnat, grand donateur de la campagne d’Emmanuel Macron (que le président a récemment reconduit à la tête du Centre National du cinéma et qui vient d'être nommé représentant de l'Etat au conseil d'administration de France Télévisions), pour “agression sexuelle”, en apparence, la France traque activement les agresseurs sexuels. Mais derrière ces quelques cas médiatisés, des dizaines de milliers de femmes continuent à être violées chaque année, le plus souvent en toute impunité. En cause ? la faillite de la justice et le mépris pour les victimes du ministère de l’intérieur.

En 2021, Mathilde Forget faisait paraître De mon plein gré (Grasset), qui fait le récit des premières heures d’un dépôt de plainte pour viol. Entre la condescendance des policiers qui lui disent « tu » et l’appellent « petite », entre les sentiments de honte et de culpabilité que cette procédure fait naître en elle, le texte voyait la narratrice se réapproprier le langage qui lui était confisqué par celles et ceux qui, pour le bon déroulé de la procédure, disaient « je » à sa place. Que se passe-t-il, lors des dépôts de plainte pour violences sexistes et sexuelles, pour qu’une autrice choisisse non pas de revenir sur l’ampleur du traumatisme du viol qu’elle a subi mais sur celle de sa dénonciation auprès des autorités dites « compétentes » ?

Un rapport escamoté

Le 27 janvier dernier, un rapport intitulé « Diagnostic collaboratif sur l’accueil des femmes victimes de violences conjugales et/ou sexuelles et l’évaluation du danger dans trois commissariats de Paris et de la petite couronne » était mis en ligne sur le site de la préfecture de Police. Au-delà de ses conclusions accablantes, l’histoire de ce rapport ne manque pas d’intérêt. Commandé en 2018 par l’ancien préfet de police Michel Delpuech, et mené entre 2018 et 2019 par l’Observatoire régional des violences faites aux femmes du centre Hubertine Auclert, ce document de vingt-quatre pages consacré à la prise en charge par les gendarmes et policiers des violences faites aux femmes a été remis à la préfecture le 3 septembre 2019. 

Didier Lallement – connu par ailleurs pour avoir violemment réprimé les gilets jaunes – avait alors succédé à Michel Delpuech, et ne souhaitait visiblement pas la parution de ce rapport. Il aura fallu l’insistance de plusieurs associations féministes et la révélation de son escamotage par le journal Causette pour qu’enfin, il soit rendu public.

Contacté pour comprendre pourquoi ce rapport embarrassant a été mis sous le tapis pendant plus d'un an, la préfecture de police de Paris avance qu’il s’agissait d’une « étude interne (...) ayant été mené en 2018 et 2019, avant la mise en place des travaux du Grenelle des violences conjugales ». Le rapport de la fondation Hubertine Auclert serait devenu « anachronique ».

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